à Saint-Maur, le 15 décembre 2003 Cher Monsieur, Laissez-moi
vous
expliquer
en
quelques
mots,
le
chemin
qui
me
mène
à
vous :
j’ai
lu
le
billet
de
Éric
Fottorino
dans
le
Monde
du
5
décembre
2003 :
De
Chirac
à
Jules
Verne,
où
votre
préface
à
l’Invasion
de
la
Mer
est
citée.
J’ai
lu
celle-ci
le
lendemain
et,
ayant
moi-même
présenté
l’ouvrage
aux
lecteurs
d’Une
mer
au
Sahara
(pages
421
à
423
-
La
Différence
avril
2003),
je
ne
peux
m’empêcher
de
vous
livrer
mon
point
de
vue. D’abord au plan des faits :
Au
plan
des
idées : Qu’il ait été convaincu de l’importance " stratégique " du projet de mer intérieure, il n’y a pas à en douter. Et dès l’origine. Mais qu’en 1903 plus précisément, parce qu’il ne veut pas que les Américains, ou les Anglais, puissent faire avec la mer saharienne ce qu’ils font avec Panama, l’auteur de l’Invasion de la mer prenne la plume afin de vanter à nouveau le projet Roudaire-Lesseps, c’est l’évidence. Verne défend une cause : la mer intérieure, et un honneur : celui des promoteurs, balayés par le scandale ou l’oubli. (notez que c’est " la Société française de la mer Saharienne " qui prend le relais de la " Compagnie franco-étrangère faillie "). Or Jules Verne, comme la plupart des intellectuels de son époque, comme un Elisée Reclus résolument libertaire par exemple, ne s’émeut pas que cette cause fût colonialiste. " Marchez ! Colonisez ! " exhortait Hugo en désignant l’Afrique. Les Français sont certes, autant que les Touareg, des intrus en Tunisie. Mais ils apportent la civilisation, le progrès, quand les seconds, leurs ennemis mortels, sèment la sauvagerie et la désolation. L’Invasion de la mer tranche sans hésitations. Je ne vois pas le dilemme. Je ne vois pas où est " l’ironie " dont vous parlez. Concession au " public " ? Mais le public de l’époque, à la différence des intellectuels, n’est pas acquis au colonialisme. L’expédition de Tunisie a soulevé la réprobation populaire. Jules Ferry doit ruser ou mendier pour imposer l’extension de l’empire colonial. Les lecteurs du Magasin sont en mal de sensations fortes, d’exotisme, mais non de propagande coloniale. Verne joue son rôle d’idéologue. Et le dénouement ? Il n’a rien de " catastrophique " ! Il apporte la démonstration que Roudaire avait raison en 1882 : le Djerid était bel et bien un lac très profond recouvert d’une croûte. Son projet n’était pas " folie " mais une hardie et heureuse anticipation. Vous dites qu’il annonce la fin du monde ? Mais que voyons-nous apparaître sur cette nouvelle mer créée par la nature : un aviso français ! Où est le second degré que ma lecture " simpliste " élimine ? N’est-ce pas plutôt votre complaisance pour un auteur qui a peut-être enchanté votre enfance ? Cherchez-vous à le racheter ? Mais non ! effectivement, l’Invasion de la mer n’est pas une œuvre mineure, c’est peut-être tout simplement, son auteur qui l’est? ce qui, au demeurant, ne le rend absolument pas indigne de respect ou d’intérêt. En tout cas, la question mérite le débat. Voulez-vous le poursuivre ? Bien cordialement Jean-Louis Marçot |