Pastel, mode d'emploi

 

Le plus souvent je procède sur le motif. La fragilité du pastel m’oblige à fuire pluie et vent. Quand il m’est matériellement impossible d’opérer, je prends des croquis et des photos dont je me sers en atelier pour restituer le paysage. De même, la photo m’aide à terminer un travail interrompu ou insatisfaisant.

En situation, je ne calcule pas, je ne prépare rien. Je cherche plutôt à me concentrer et à me fondre dans le milieu. Puis à grands traits, je marque les tendances et les tensions du paysage, qui n’est jamais qu’une combinaison de lignes, de masses et de couleurs; puis je pastelle par zone, sans ordre précis. 

Le pastel tel que je l’utilise pousse à la simplification et au fondu - au sfumato. Les éléments doivent être appréhendés dans leur globalité ou par interaction, un arbre par la tache qu’il fait par exemple et non par ses feuilles. Si je figure un chêne ici par une boule verte et là par une espèce de cervelle, c’est qu’ici l’arbre me paraîtra témoigner d’une campagne plus policée, plus travaillée que là. Si je donne plus de bleu à ce bosquet qu’à cet autre, c’est que celui-là boit plus d’eau que celui-ci. Un même olivier sera une boule dans un verger, un nuage gris dans un maquis.  

Bonnieux (Lubéron) : le même paysage par la photo, le croquis et le pastel (nov. 2000)

L’important pour moi est de capter “ l’esprit du paysage ” puis de le transcrire à mesure dans mon travail. Sa douceur ou sa rudesse, sa gaîté ou sa gravité, sa vivacité ou sa lenteur, sa virginité ou sa domestication, sa jeunesse ou sa vieillesse, son élévation ou son avachissement, sa chaleur ou sa tiédeur, son aridité ou sa profusion... me dicteront des formes et des couleurs différentes. Par dessus tout, la qualité de la lumière que le ciel renvoie m’importe - lumière plus ou moins bleue, rose, jaune, violette, rouge, verte, grise, blanche, plus ou moins vive, chaude, diffuse. La teinte du papier sur lequel je pastelle est choisie en rapport avec cette tonalité. C’est la lumière qui, en se dispersant dans le tableau, désigne les masses.

 Je donne aux éléments la taille, le ton et la place qui correspondent le mieux à l’esprit dont j’ai parlé. Je ne cherche en effet ni à pratiquer un prélèvement, ni à réaliser une copie ni à appliquer des canons ou des principes. J’interprète librement. Mais en même temps, je suspends à ce point l’activité de mon entendement qu’on devrait plutôt dire que c’est en quelque sorte le paysage qui fait de moi son interprète.