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La classe arabe (Galibert 1844)

L’avant-garde aux sources de l’Algérie – saint-simoniens, fouriéristes, icariens… à la conquête d’un nouveau monde (1830 – 1870) – essai -

1830 en France voit la conquête d’Alger, une révolution et l’éclosion d’un mouvement d’hommes et de femmes saisis de la " question sociale ". Désireux de se porter délibérément au devant de l’avenir, ils forment très exactement une avant-garde mais on les appelle plus communément (ou péjorativement) utopistes ou socialistes. Ce sont les disciples de Saint-Simon, de Charles Fourier, de Cabet, de Louis Blanc, de Pierre Leroux…
Cette avant-garde, en quête d’un champ d’essai et d’une liberté que la monarchie de Juillet lui refuse, se tourne très tôt vers ce qui n’est pas encore l’Algérie. Elle contribuera à y édifier, sinon la " Nouvelle France ", du moins son concept.
Son épopée a été jusqu’à présent peu étudiée. Le marxisme a supplanté les premières formes de socialisme et de communisme. Aujourd'hui, ces courants aussi rivaux que pouvaient l’être maoïstes et trotkystes dans les années 1970, sont confondus. Je tente de dégager des repères et de remettre dans la lumière cette mouvance étonnamment moderne, qui était vraiment, l’histoire le prouve, en avance.

L’Algérie n’est pas née d’un coup, aux forceps. Longtemps la classe dirigeante a hésité sur le sort de la colonie et son statut. Ce n’est qu’au début de l’année 1834 que Louis-Philippe, éclairé par les travaux remarquables d’une Commission d’Afrique se décide à maintenir la conquête. Il faut encore cinq ans pour qu’il se résolve à étendre la domination française jusqu’au désert. Alors seulement cette terre conquise de la manière la plus brutale prend le nom d’Algérie. Dans ces années d’hésitation se développe le discours colonial. Je m’ingénie à le caractériser.

De cette conquête à bien des égards fortuite puis de cette Algérie, que veut faire l’avant-garde. Quelle part prend-t-elle au discours et aux événements ? Si le rôle des saint-simoniens est connu – une connaissance " connotée " comme on le verra -, ce qui revient aux autres composantes de l’avant-garde a été négligé. Je tente de combler les lacunes.

L’étude n’est pas abstraite. Elle prend la tournure d’une enquête. Après avoir dégagé les enjeux de ce mouvement et de cette époque, je cherche leur traduction pratique, j’examine les projets, les essais et les réalisations auxquels l’avant-garde a attaché son nom en Algérie.

Mais comment, au bout du compte, l’avant-garde est-elle devenue une arrière-garde, comment le mouvement, naguère critique, s’est-il trouvé " récupéré " et comment un même " système " a-t-il pu engendrer des opinions et des positions diamétralement opposées et nourrir des haines tenaces, entre " libéraux " et " ultras ", ce sont les questions que je me suis plu à traiter, non sans lorgner sur le présent.

 
     



Premier portrait publié de Charles de Foucauld
(L'Illustration 1917)

Charles de Foucauld fait homme – essai -

Au sommet de l’Assekrem, en plein cœur du Sahara, loin de tout (mais non des touristes) se dresse une masure de pierres sèches qui a abrité Charles de Foucauld quelques mois à la fin de sa vie. Il s’en échappe le matin, une messe qui sonne étrangement dans le silence.
Le souvenir de l’ermite assassiné rayonne bien au-delà de ce lieu de recueillement. Le Vatican débat de sa béatification. Ses émules le tiennent pour un saint ; le FLN, pour un espion ; les sahariens, pour un des leurs… Mais qui était Charles de Foucauld vraiment ?
Plus de cent biographies racontent son aventure terrestre et spirituelle. Ces dernières années, la production s’emballe. Au lieu d’en ajouter une énième, j’ai préféré faire l’histoire de ces biographies et montrer comment elles ont contribué, à coup de mensonges calculés ou d’ignorance, à élever un mythe qui a servi l’idéologie coloniale, comment cette idéologie a évolué par la force des choses et des peuples.

Délivré de cette pesante tradition, de cette confiscation partisane, le personnage retrouve une complexité et une humanité qui à la fois force l’admiration et agace. Cet homme excessivement volontaire s’en remettait entièrement à un Dieu qui l’ignorait. Livré à sa propre volonté, Charles de Foucauld a, de son vivant, accumulé les échecs. Et paradoxalement, ces échecs ont fertilisé et lui assure maintenant ce qu’il recherchait en vain, un amour pur.
Démilitarisé, " désarmé ", sorti du dogme et de l’appareil (l’église), l’ancien officier de cavalerie, l’ancien explorateur, le moine, le prêtre libre, le savant, l’ermite que fut Charles de Foucauld donne à voir et à méditer un parcours singulier qui nous renseigne sur les rapports de domination.

La plus grande partie des archives relatives à l’ermite sont la propriété de sa famille, des Pères blancs ou du Vatican, autant de lieux qu’il me sera difficile de pénétrer. En outre, militaires et religieux, regroupés en association, montent la garde autour du mythe. L’exigence de vérité dont je peux me prévaloir suffira-t-elle à m’ouvrir leurs portes ?

Le 13 novembre 2005, au terme d'une véritable bataille ecclésiastique longue de 78 années, Charles de Foucauld a été béatifié. Mais qui a gagné cette bataille ?

Texte approximatif de larticle paru dans le SAHARIEN des 2e et 3e trimestre 2016 consacré à Ch. de Foucauld
 

Charles de Foucauld et Paul Embarek, esclave, servant, serviteur (1902-1916)

 

J’ai rencontré celui qui allait devenir pour moi une féconde énigme lors d’un premier voyage dans l’Atakor en 1985. Poussant vers l’Asekrem, j’y découvrais cette construction appelée « l’ermitage », dressée au cœur du Hoggar, ou plutôt écrasée sous la masse du désert et de la lumière vibrante qui l’inonde. Qui avait pu défier autant de solitude ? Quel avait été ce « Père de Foucauld » à l’image de ce lieu austère et grave ? La question m’a poursuivi. Au cours des recherches qui ont suivi cette rencontre, un fait est venu à ma connaissance, un détail. On sait que, à l’encontre des dernières volontés exprimées par le Bienheureux, les autorités militaires puis religieuses ont cru bon de déplacer son corps plusieurs fois, trois exactement. Enseveli sommairement et nu (0) dans un fossé situé à quelques pas du lieu de son assassinat, le mort a été, pour finir, transporté à El-Goléa. Sous les regards solennels du préfet apostolique du Sahara, les fossoyeurs exhumaient en avril 1929 les restes de Charles de Foucauld. Jusque là assez bien conservés, ils s’étaient à moitié « corrompus » selon l’expression d’un témoin. Bifide, c’est également tel que m’apparaissait le personnage, à la fois attirant et repoussant, admirable et détestable et c’est toujours avec cette ambivalence, en vérité très ordinaire, très humaine, qu’il continue de m’intéresser, de m’intriguer, de m’interpeler, moi qui n’ai pas de religion, on l’aura compris, pas même celle de l’Homme.

Loin de moi le désir d’enlever quoi que ce soit à l’admiration, à l’amour qu’inspire Charles de Foucauld à tant de gens si différents que, mis en rapport, ils en viendraient peut-être à se haïr, comme Louis Massignon en a fait l’expérience à ses dépens en février 1958. Mon intention est seulement de proposer à des lecteurs que je n’ai pas l’avantage de connaître une autre approche, d’homme à homme, en traitant de quelques aspects négligés ou « corrompus » du Bienheureux, et ce faisant, d’amorcer avec eux une discussion que j’espère fertile.

 

Entrée en Foucauld.

Ma démarche s’inscrit dans une évolution bibliographique dont les grandes étapes se dégagent assez clairement et que vient en quelque sorte coiffer le Charles de Foucauld de Pierre Sourisseau paru après l’écriture du présent texte. À l’heure du réarmement moral de l’après-Grande Guerre, les auteurs à imprimatur sanctifiaient à travers l’ermite du Sahara la figure héroïque d’une « plus grande France » où, malgré l’incorporation de multiples peuples entre Dunkerque et Tamanrasset, « bon sang ne saurait mentir » et qui demeurait, aussi grande fût-elle, « la fille aînée de l’Église ». Derrière Bazin, et sa canonique biographie, Vignaud, Nord, Pichon et bien d’autres plumes, religieuses et laïques, s’employaient à dessiner l’auréole d’un saint de la colonisation française et même après le déclenchement d’un processus de « libération » annoncé comme irréversible, le général Charbonneau, « pilote » du dernier Cahier Charles de Foucauld à l’automne 1956, continuait de se réclamer de l’« idéal de chevalier de l’Église d'abord, puis de chevalier de cette France, [...] fille ainée de l’Église » (1). À ses côtés, Georges Gorrée, un des premiers Petits Frères de Jésus établis à El Abiod-Sidi Cheikh en septembre 1933, posté Sur les traces de Charles de Foucauld, distillait dans ses livres et les Cahiers des éléments biographiques nouveaux et précis dans le but de rendre à sa dimension humaine, au contexte exact de son époque celui dont, pensait-il, les hagiographes avaient inconsidérément fait un « surhomme ».

Ce désir d’humanisation s’est poursuivi et amplifié avec le déclin de l’idéologie colonialiste et l’avènement de Vatican II. Les biographies se sont même faites critiques. Michel Carrouges ouvrait la voie en 1961 avec son Foucauld devant l'Afrique du Nord, essai critique. Alors qu’était entreprise l’édition intégrale et documentée des écrits épistolaires, spirituels, scientifiques de Foucauld, que l’accès aux pièces du procès informatif entamé en 1927, clos 20 ans plus tard, était ouvert à la recherche, des auteurs, au large des bondieuseries habituelles confites d’erreur et de nostalgie, redécouvraient Foucauld et contribuaient à replacer dans son épaisseur ce pénitent prétendument si ascétique qu’il en était devenu inconsistant. Enfin béatifié, Foucauld tombait dans le domaine public en quelque sorte. Il n’était plus besoin d’être catholique pour s’y intéresser ni de se déclarer tel pour avoir voix au chapitre.

J’ai amplement profité de cette évolution pour mon étude. Effrayé par la difficulté de chercher l’information à la source, je me suis contenté de recouper les éléments trouvés dans le flot des écrits du Bienheureux, de ses biographies et des articles parus sur son compte dans la presse dédiée : les Cahiers, L’Appel du Hoggar, les Bulletins de l’Association Charles de Foucauld … J’espère que ce flot grossira encore et que les manques seront à mesure comblés, que seront un jour publiées intégralement les si précieuses Lettres à Marie de Bondy par exemple. Pêchant dans ce flot, j’ai autant que possible collecté les faits donnés pour historiques en les détachant des interprétations et des jugements qui les accompagnaient, n’ignorant pas cependant les enjeux et la rivalité des « chapelles » cristallisée notamment autour de la dualité moine/missionnaire opposant Petits Frères et Sœurs de Jésus et disciples de Massignon.

Cette controverse, quand bien même toucherait-elle au fond de l’héritage spirituel du Bienheureux, déborde mon propos. Charles de Foucauld est à mes yeux avant tout un homme, mais un homme extraordinairement inquiet de sa place dans le monde et parmi ses semblables ; dans sa famille, à l’armée, à la Trappe, en Terre Sainte, il ne s’est pas satisfait de celle qu’il avait librement prise. Au Sahara, il en ira de même. Il la voulait la dernière, la dernière des dernières. Or elle était déjà occupée. Auprès de lui, un autre homme s’y tenait. On l’a appelé « Paul Embarek » et on l’a présenté comme « le serviteur du Père de Foucauld » alors qu’à ma connaissance, celui-ci ne l’a jamais désigné sous ce vocable.

 

Une portée dérobée.

Lorsqu’il entre dans la vie de l’ermite à Beni Abbès en septembre 1902, Bonita est un Soudanais de 15 ans environ, esclave depuis 6 ans d’une tribu arabe nomadisant dans la Saoura. Foucauld l’achète sans contrepartie si ce n’est l’espoir de permettre sa conversion. Il le prénomme Paul en puisant dans le panthéon de ses saints préférés comme il l’a fait ou le fera pour Marie, Joseph, Jésus, Magedeleine, Pierre ...

Paul « vécut 14 ans à son service, et fut témoin de sa mort » résument les Cahiers (2). Ce calcul est contestable car, entre le 6 mars 1908, date d’une lettre où Foucauld indique que l’ancien esclave « travaille de temps en temps » pour lui et le 8 février 1913 où il note dans son diaire « Visite de Paul », sa trace se perd. Une explication existe : « il n’est guère question de lui alors, peut-être parce qu’il s’assagit… ou que ses humbles fonctions de jardinier et cuisinier ne prêtent pas à mention. » (3) Si on la rejette, ce ne sont donc pas 14 ans mais 11 ans et demi voire 10 (soustraction faite des voyages de l’ermite en France) que Paul Embarek a passés dans l’intimité ou la proximité de Charles de Foucauld – ce qui en fait tout de même le témoin n°1 de son aventure saharienne.

La plupart des biographes ne s’y sont pas trompés, à commencer par Léon Lehuraux. L’officier méhariste remarquait : « ce Paul-Embarek a tenu dans la vie du Père de Foucauld une place trop importante pour ne point lui consacrer quelques lignes ; le nom de Paul apparaît si fréquemment dans les correspondances du père » (4). L’officier, qui reconnaissait volontiers n’avoir « jamais éprouvé de sympathie pour ce négroïde au regard fuyant », pouvait prétendre l’avoir connu. Ce n’est pas le cas d’autres biographes telle Mme du Perron qui vide sa bile sur « ce grand malabar borné », « bête », à la conduite « scandaleuse », « gras et prospère malgré la famine », couard et intéressé (5). Plus mesurés et mieux informés, les auteurs dans l’ensemble ménagent une neutralité qui très exceptionnellement vire à la bienveillance. Aucun ne veut voir en Paul Embarek plus que « le serviteur du Père de Foucauld ». Il sera pour moi une porte d’entrée pour la connaissance d’un autre Foucauld.

 

« Si tel est le serviteur, comment donc est le Maître ? »

Charles de Foucauld, en s’enfonçant dans le désert, avait fait le choix de l’ensevelissement. Son dernier testament le certifie : il exigeait l’enterrement le plus simple. Aujourd'hui, 7 tonnes de travertin marocain recouvrent sa tombe et plus de cent biographies, son parcours sur terre. Comment trouver l’authentique Foucauld sous un tel poids ? Cependant je ne me décourage pas, me disant que je cherche là où la plupart n’ont pas cherché, dans le sillage d’un homme. Car, je le répète, il s’agit bien d’un homme. S’il a désiré éperdument prendre la place de Jésus de Nazareth, être comme lui, être Lui, il n’y est jamais arrivé. Il n’a jamais été aussi « surnaturel » qu’il l’a souhaité. La volonté supposée de Dieu n’a été que la sienne propre. Il a cru la déceler dans de rares événements providentiels quand d’autres, sur lesquels il reste muet, venaient presque aussitôt infliger un démenti. Par exemple, Foucauld identifie l’arrivée de Motylinski à Tamanrasset en juin 1906 comme une grâce du bon Dieu. Mais il ne dit rien de la morsure de serpent qui l’empêche d’accompagner son ami ni de sa mort qu’il apprend moins d’un an plus tard. Maints autres exemples confirment sinon l’inanité du moins l’insondabilité de la volonté du Dieu auquel Foucauld croyait et qu’il ne lui a pas été donné de connaître malgré ses plus ardentes suppliques.

Sous couvert de Providence, ce n’est en fait ni plus ni moins que le sens de l’existence que cet humain né sous une si mauvaise étoile n’a cessé d’interroger et ce depuis toujours. Son interrogation s’ancre en effet dans la série des morts auxquelles il a été précocement confronté : non seulement coup sur coup, à l’âge de 5 ans passés, celle de sa mère, de son père, de sa grand-mère paternelle terrassée sous ses yeux, mais aussi celle d’un frère, décédé un an avant sa naissance, dont il hérita le prénom. Comment l’enfant aurait-il pu interpréter la volonté divine à laquelle sa mère moribonde s’en remettait pour justifier son départ définitif autrement que comme une volonté d’abandon ? Et contre ce sentiment d’abandon, ni son milieu ni ses proches n’ont su le protéger. Quelle force l’orphelin aurait-il tiré du souvenir d’un père réputé noceur et probablement mort syphilitique, dans tous les cas déchu de sa volonté par décision de justice, ou de l’exemple de ce grand-père adoptif, colonel ex-directeur des fortifications de Strasbourg, choisissant en août 1870 de s’enfuir de la ville assiégée avec le secours d’un parent bientôt accusé de trahison, ou d’une lignée certes noble mais qui ne devait son salut qu’à son mélange avec la bourgeoisie d’affaires, à l’instar de ce richissime oncle Sigisbert Moitessier, né prolétaire et enrichi par le commerce du tabac ? Et comment, lorsqu’à l’acmé de l’adolescence, le jeune lycéen apprend le mariage de sa cousine aimée – celle-là même qui avait rempli dans son cœur le vide laissé par tant de pertes et qu’il appellera encore, la veille de son assassinat, sa « si chère mère » –  n’aurait-il pas éprouvé le sentiment d’être à nouveau abandonné ?

Je lance ces questions à la curiosité du lecteur, me réservant de les approfondir si un éditeur veut bien m’en offrir la possibilité. Elles abordent, elles entament la vie de Charles de Foucauld par un autre biais que la foi. La peur de la mort et de l’abandon, commune aux humains, me semble, démultipliée, y tenir un rôle clé. Pendant longtemps Foucauld n’a pas d’autre souci que de la tromper, aussi bien par la recherche éperdue de la jouissance qu’à l’inverse, par celle du martyre. Et peu à peu, je le vois s’en détacher, s’en libérer, ainsi que Paul Embarek, son « petit nègre », en témoigne.

Retournant sur son auteur la question qu’il nous adresse à travers un siècle, je demanderai à mon tour, s’agissant d’Embarek et de Foucauld : Si tel est le serviteur, comment donc est le maître ? (6)

 

À Beni Abbès.

Charles de Foucauld prend pied à Beni Abbès le 28 octobre 1901. La destination a été décidée collégialement à son arrivée à Alger. Il a bénéficié de l’appui de ses relations militaires et des Pères blancs. Son intention patente est de fonder un nouvel ordre. Il y songe depuis dix ans. Convaincu qu’il ne trouverait pas à la Trappe (en l’occurrence celle de Cheikhlé à la frontière syrienne) assez « de pauvreté, d’abjection, de détachement effectif, d’humilité, et je dirai même de recueillement », il a demandé à la quitter. La « petite congrégation » qu’il a imaginée sous l’appellation des Ermites du Sacré-Cœur vivrait uniquement du travail manuel et aurait vocation à « se répandre partout dans les pays infidèles si abandonnés » (7).

Lors d’un séjour de trois années à Nazareth et Jérusalem chez les Clarisses en qualité de domestique, l’ermite s’est forgé une spiritualité nourrie de ses lectures de Thérèse d’Avila et de Jean de la Croix et a peaufiné le règlement de ce qu’il présente à son directeur spirituel récalcitrant comme une « petite famille ». Puis découvrant la fausseté de son statut, les insuffisances de ses hôtes et la nécessité du sacerdoce, il s’est résolu à la prêtrise qu’il avait jusque là refusée. Prêtre, il pourrait célébrer la messe sur le Mont des Béatitudes après l’avoir acheté et y avoir installé ses Ermites du Sacré-Cœur. Le projet changera de nature mais voilà son auteur ordonné le 9 juin 1901.

En prenant congé du préfet apostolique du Sahara venu l’accueillir au port d’Alger 3 mois plus tard, Foucauld lui laisse le règlement à peine modifié de ceux qu’il appelle désormais les Petits Frères du Sacré-Cœur de Jésus. Le préfet l’approuvera et autorisera la fondation de cette nouvelle famille « vouée à l’adoration de la sainte eucharistie, à la solitude, à la clôture, à la pauvreté et au travail dans les pays de mission ». Le règlement est pourtant rude, « impraticable » juge l’abbé Huvelin (curé de St Augustin, confesseur de Marie de Bondy, il a poussé Foucauld à la conversion et joue auprès de lui le rôle de directeur spirituel) tandis qu’en haut lieu, on n’y voit qu’« une pieuse utopie » (8).

Le fondateur en est-il lui-même autrement persuadé ? Depuis son entrée en religion, il a collectionné les échecs et en un certain sens, il s’en réjouit. Que cherche-t-il en faisant route vers l’étape de Beni Abbès ? La réponse est martelée : il vient chercher son Golgotha, sa croix. Il n’attend que le martyre auquel il se prépare « sans cesse ». Il faut, s’enjoint-il, « vivre aujourd’hui comme devant mourir ce soir martyr » (9).

 

L’habit ferait-il le moine ?

C’est à Beni Abbès que Charles de Foucauld commence véritablement sa carrière de saint. L’ambition de sainteté, qu’il associe dans un premier temps au martyre, est chez lui constitutive. Qu’il fût saint, tous les religieux qui l’ont fréquenté en sont déjà convaincus. Il est maintenant immédiatement repérable : la tenue spéciale qu’il s’est confectionnée pour son nouveau rôle le désigne entre tous. Son ami Laperrine en fait une description détaillée : « une robe ressemblant à celle des Trappistes, mais en toile de coton blanc, un Sacré Cœur en drap rouge est cousu sur la poitrine. Cette robe est serrée à la taille par une ceinture de cuir à laquelle pend le chapelet [...] ; il a adopté une sorte de bonnet blanc muni d’un couvre-nuque qui ressemble beaucoup à la chéchia de zouave » (10).

C’est avec cet accoutrement, auquel il doit, d'après le même Laperrine, sa « dénomination de Père de Foucauld », qu’il apparaîtra sur de nombreux clichés. Car l’ermite ne rechigne pas à être photographié. Et ces images faites souvent par des officiers de passage, il les distribuera volontiers à ses admirateurs et admiratrices. L’évêque de Viviers – son diocèse de « rattachement » –  en détiendra un stock à cet usage.

Le vicomte a un goût pour l’image qu’il n’a pas cessé de cultiver, pratiquant lui-même le dessin. Ce goût explique-t-il l’attention particulière qu’il porte à sa propre apparence ? En attestent non seulement les consignes précises qu’il donne par exemple à sa cousine Marie pour ses habits d’ordination qu’elle s’est offerte à lui coudre mais aussi la surprise pour ne pas dire le trouble que cette apparence provoque généralement chez ses interlocuteurs, qu’il s’agisse des Clarisses de Nazareth, des trappistes de Staouéli ou de l’impavide abbé Huvelin, lequel le recevant en août 1900 qualifie de « bizarre » son costume (11).

Dirions-nous de la tenue de Petit Frère conçue par Foucauld qu’elle est plus qu’une « extravagance » pour reprendre le terme de l’éphémère compagnon Michel dont il sera question plus loin ? Depuis la plus petite enfance, le vicomte est accoutumé à se déguiser. Amateur de tableaux vivants – son jeu préféré –, il est photographié costumé en franc-tireur au Noël 1866. Dix ans plus tard, ses camarades de St-Cyr et de Saumur disent l’avoir vu déguisé, en femme, en ouvrier, affublé de lunettes et d’une fausse barbe… En garnison à Sétif, il s’habille en arabe pour se fondre dans la population. Déguisé en rabbin, il explore le Maroc en 1883. « Je me donnai pour Israélite » assume-t-il devant les lecteurs du Bulletin de la Société de Géographie.

Le déguisement en Arabe ou en Juif n’était peut-être que « technique ». En va-t-il de même lorsque, vers 1890, il se présente en mendiant aux habitants de St-Martin de Sanzay près de Saumur ? (12) Et quelle n’est pas la surprise des clarisses de Nazareth quand elles ouvrent à cet inconnu bardé d’« un bonnet blanc qui tombe sur ses oreilles », d’un pantalon bleu d’ouvrier, d’un gilet blanc. Mais ce « ridicule costume » (13) pas plus que le langage vulgaire que l’étranger tient « à dessein » ne font longtemps illusion. Les religieuses reconnaissent vite derrière cette mise étudiée à contre-emploi l’homme du monde, « un grand seigneur ».

D’autres exemples ont été rapportés. Il en est encore un, peu mentionné : son déguisement en Motylinski. Avec acharnement et non sans mentir à l’occasion, Foucauld a exigé que ses travaux linguistiques fussent publiés sous le nom de son ami décédé. A son éditeur, René Basset, il soutient sans déciller dans une lettre du 11 mai 1914 que « les Textes [touaregs] en prose [dont le professeur s’apprête à écrire la préface] sont entièrement son œuvre » à Motylinski (14). Quelques jours avant son assassinat, il antidatera de 1906 ses Poésies touarègues pour laisser croire qu’elles sont de la plume du mort (15).

 

Qui signe ?

Le déguisement pour Foucauld est un stratagème contre la mort, c’est mon opinion. Il découle de son désir de la tromper en composant devant elle une manière d’épouvantail. Ce travail de « composition », la signature de ses courriers en porte témoignage. La vie de Foucauld se donne à voir par étapes bien circonscrites. À chacune d’elles, à chaque cerne, couche ou enveloppe correspond une signature : Charles pour l’ami, le frère, l’intime, jusqu’à la prise d’habit (janvier 1900) ; Vte Ch. de Foucauld pour l’officiel (idem) ; Fr Marie-Albéric pour le trappiste jusqu’à la dispense des vœux et le départ pour la Palestine (janvier 1890 à juillet 1896) ; Fr Charles pour le Nazaréen (mars 1897 à mai 1899) jusqu’à être autorisé à se faire appeler Fr Charles de Jésus, le premier des Ermites du Sacré-Cœur (mai 1899 à décembre 1905) ; Fr Charles de Foucauld en alternance avec la précédente signature pour le « curé des Touaregs » selon les termes de Laperrine (1905 à 1914) ; enfin Charles de Foucauld lors de ses retours en France (1909, 1911, 1913) puis systématiquement à partir de la déclaration de guerre.

La signature est elle aussi un déguisement. Aussi étudiée, délibérée que sa vêture, elle trahit toute la fragilité du personnage, son angoisse. Il est significatif qu’en même temps qu’il reprend in fine sa véritable identité, Foucauld renonce à sa tenue. Sans l’emblème du cœur et de la croix et sans le chapelet, celui-ci ne ressemblera plus qu’à une tunique ordinaire, laquelle lui donne sur la dernière photographie connue des allures de Mahatma. Cette banalisation serait-elle dictée par ses nouveaux projets d’association, elle n’en marque pas moins chez Foucauld, couplée avec cette levée d’espoir et son renoncement effectif au martyre, l’amorce d’une réappropriation finale à soi et à l’existence. Paul Embarek y aura joué son rôle, comme on le verra.

 

Homme et prêtre libre.

Charles de Foucauld n’aurait pas pu mener son aventure saharienne sans une disposition spéciale peu courante. Ordonné prêtre dans le diocèse de Viviers où se trouve Notre-Dame des Neiges, sa première trappe, l’ex-cistercien n’a été que le sujet de son évêque, « laissé libre par ses supérieurs de mettre à exécution la vocation à laquelle il se disait appelé et de vivre en ermite dans les lieux déserts proches du Maroc » (16). Libre de sa vocation mais aussi libre et vivant de ses biens, « ad titulum patrimonii ».

Il en avait déjà fait un large usage pour la construction de Notre-Dame du Sacré-Cœur (30 000 F) ou l’achat du Mont des Béatitudes (13 000 F). La fortune dont il dispose est à vrai dire familiale, détenue entre sa sœur et ses cousines. Ce sont elles qui, d’accord avec sa nouvelle vocation, répondent à ses demandes pécuniaires ou les anticipent. S’il ne s’agissait que du vœu de pauvreté prononcé solennellement en juin 1901, il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter de la loyauté du prêtre. Mais pour qui tient à se distinguer par son exigence constante, effrénée, radicale de pauvreté et d’abjection, la question se pose. Peut-on en effet se croire à la dernière des dernières places lorsqu’on possède 5 propriétés et non des moindres (la Fraternité de Beni Abbès, une maison à In-Salah, la Frégate et le fortin de Tamanrasset, l’ermitage de l’Asekrem) ? Foucauld a sévèrement reproché à la supérieure des Clarisses de Jérusalem de l’avoir considéré persona grata et d’avoir modifié son comportement en conséquence. Mais a-t-il mis toute son énergie à l’empêcher ?

Pour se convaincre de l’épaisseur d’un personnage dont ses adeptes ont fait un pur ascète et qui lui-même a prétendu se réduire à presque néant afin de mieux imiter et se remplir du pauvre Jésus nazaréen, il faut prendre en compte non pas tant ces possessions rien de moins que matérielles – les Pères blancs en seront les principaux bénéficiaires – que sa manière de les faire siennes. Que le jeune Vicomte écrive son testament en juin 1883, au seuil d’une exploration qui s’annonçait très périlleuse, ne surprend pas. Qu’il réitère quatre fois l’opération au cours de sa carrière saharienne, à Beni Abbès en août 1903, à l’Asekrem en décembre 1911, à Tamanrasset en décembre 1913 puis en octobre 1914 « pour mettre en ordre [ses] petites affaires » (17) comme il l’explique à Raymond de Blic, son beau-frère et son légataire, n’a plus le même sens. Qui aurait pensé que Charles de Jésus, à la fois le Petit Frère, son supérieur et son directeur (18) enfreindrait une des règles les plus impératives de son ordre : « ne rien posséder personnellement » ? La possession pouvait être un aléa sans importance. En la garantissant et en la personnalisant, le testament l’élève à un statut supérieur. Il la rattache à une volonté particulière, et pas n’importe laquelle. En théorie « mort au monde », « vide de [sa] volonté », soumis à Dieu « avec l’obéissance du cadavre », Foucauld d’un côté y inventorie son « peu » et de l’autre ordonne : « J’interdis qu’on transporte mon corps [...] » (13 décembre 1913) et lorsqu’il reprend sa rédaction l’année suivante, ce qui n’était que « désir » devient injonction : « Je veux être enterré au lieu où je mourrai [...]. »

 

« Le Maroc est mon objectif ».

C’est avec cette surprenante liberté, comme persona grata que Foucauld s’en va à Beni Abbès. Après avoir attendu à Maison-Carrée, siège des Pères blancs, et à la trappe de Staouéli le feu vert du gouvernement général et du préfet apostolique, il prend la route du Sud à cheval et sous escorte depuis Aïn Sefra. À l’est, le Sud oranais où il a combattu durant 8 mois en 1881 et s’est fait d’importants amis. À l’ouest, le Maroc, théâtre d’un exploit qui l’a en quelque sorte racheté auprès des siens et de son milieu. Il est en terrain connu. Officier, explorateur et moine maintenant. Mais on ne fait pas encore trop la différence.

À l’arrivée – un « ksar de 130 feux » où résident quelques troupes –, les honneurs militaires lui sont rendus. Il porte de manière informelle « le titre d’aumônier du camp français de Beni Abbès » (19). Une ordonnance est affectée à son service. Sans tarder, le nouveau venu jette son dévolu sur un « petit vallon désert mais arrosable » (deux en fait) et, avec l’aide de « la main d’œuvre militaire mise gracieusement à sa disposition par MM. Les Commandants d’armes » (20), il y construit un bel ensemble de bâtiments auquel il donne le nom de « Fraternité » ( « la khaoua en arabe » ). Il conçoit celle-ci comme l’avant-poste de l’ordre à fonder. Il y attend jusqu’à 25 compagnons « pour que [...] faisant tache d’huile [...] on entre au Maroc et y creuse un profond sillon ». Il précise : « le Maroc est mon objectif » (21).

Comment Foucauld imagine-t-il sa Fraternité ? Il l’a décrite à Henry de Castries avant son départ : il s’agirait d’« une sorte d’humble petit ermitage [pratiquant] l’évangélisation, non par la parole, mais par la présence du Très-Saint Sacrement, l’offrande du divin sacrifice, la prière, la pénitence, la pratique des vertus évangéliques, la charité » (22), un « très pauvre petit couvent » (23), enchérit-il, strictement clos – ce qui l’obligerait à « avoir au moins un domestique soit pour servir de portier, soit pour faire des courses au dehors ».

Dans cette attente, dans cet idéal, le gros œuvre terminé, la chapelle érigée, il se clôt le 1er décembre 1901. Il ne posera pas la première pierre de son enceinte – un mur de 1500 m qu’il n’achèvera jamais – avant le 16 avril de l’année suivante. Aucun compagnon ne se montrant, fr. Charles de Jésus emploie son temps comme s’il était plusieurs – autant dire qu’il le suremploie, le partageant « entre la prière ; travail manuel (sacristie d'abord, jardin ensuite), recevoir les visites » (24), celles des « voyageurs pauvres, des pauvres infirmes, des soldats, des officiers » (25).

Mais moins d’un mois après avoir étrenné son rôle de « chapelain » de la Fraternité du Sacré-Cœur, Foucauld s’engage dans une voie inattendue, au risque de se mêler des affaires du monde qu’il s’était promis d’éviter. Cette affaire, il ne la découvre pas. Elle se traite au grand jour dans le Maroc qu’il a exploré ; elle avait cours également dans le Sud algérien parcouru en 1885 ; elle aura été objet de discussion avec Duveyrier qui l’évoque dans ses Touareg du Nord (26)… : c’est l’esclavage, « la plus grande plaie de ce pays ». Elle pince en lui une fibre que tous ses supérieurs ont bien su détecter, à l’exemple du prieur de la trappe de Cheikhlé qui voyait dans son novice « l’image parfaite de notre noblesse au XIXe siècle, [...] généreuse de son argent, [...] chevaleresque [...], un Morès monastique » (27).

 

« La plus grande plaie de ce pays ».

Le nouvel arrivant exprime son émoi sans sourdine. Outre les mauvais traitements qu’il dit avoir constatés, ce qui le scandalise dans la pratique « monstrueuse » de l’esclavage à Beni Abbès, c’est l’attitude de l’autorité française. Il dénonce sa « complicité » en général et nommément au sein de l’état-major. Non seulement au plus haut niveau on ferme les yeux mais pire, tel général ou colonel donne ordre au bureau arabe de rendre les esclaves qu’il aurait recueillis. Or ce sont le plus souvent des enfants du Soudan ou du Touat volés à 5, 10 ou 15 ans (28).

Cette grave affaire autorise Foucauld à tracer une ligne de démarcation nette : d’un côté l’idéal chrétien civilisateur, de l’autre, une colonisation purement matérialiste ou opportuniste ; d’un côté l’administration directe de la colonie par des chefs européens de haute moralité, de l’autre, l’administration indirecte par des chefs locaux cupides et douteux. C’est aussi l’occasion d’opposer Berbères et Arabes, ceux-ci nomades « très cruels », oisifs et rebelles, ceux-là « ksouriens utilisant peu les esclaves » et ne les maltraitant pas, et « très bien disposés envers les Français » (29).

Chamboulant l’ordre des priorités qu’il s’était assignées, Foucauld veut faire des esclaves une « Œuvre », son œuvre. Il s’en ouvre aussitôt à son supérieur : d’une part, en s’appuyant sur les relais religieux, militaires et familiaux, alerter l’opinion publique et la classe politique (il pense au baron Cochin) ; d’autre part soulager de leurs souffrances autant que faire se peut les esclaves du cru. À cette fin, il a réservé dans sa Fraternité « une petite chambre où [il] les réunit et où ils trouvent toujours le gîte, accueil, pain quotidien, amitié ». Il en reçoit parfois jusqu’à 20 par jour. Mais l’hôte ne s’illusionne pas. S’il a prévu ce lieu, c’est pour séparer les esclaves des autres visiteurs avec lesquels ils ne font pas bon ménage. À peu près sans religion, « ayant pour ainsi dire tous les vices, surtout les vieux », ils représentent en effet « les brebis les plus perdues » (30).

Or telle est bien sa vocation spéciale : aller vers ces êtres les plus délaissés, et pas seulement par charité. Au plus teintés d’un « islamisme vague », ces « Noirs », Foucauld les croit particulièrement accessibles au catholicisme. Il en veut pour preuve l’exemple de ces « nègres » d’Ouganda qui « font d’excellents religieux » (31). « Ces esclaves violentés par le mahométisme, explique-t-il, ouvriront facilement leur cœur à l’évangile », et, continue-t-il de croire, « à la longue, à force de bonté et de patience, on pourra former les premières chrétientés de ces pays comme le furent en grande partie les premières de Rome, par des esclaves » (32). À leur intention, il écrit en 21 leçons L’évangile présenté aux pauvres Nègres du Sahara.

 

L’œuvre des esclaves.

Il a exposé la question et présenté sa solution à ses supérieurs. La décision leur appartient, il ne saurait en douter. En l’attendant, l’ermite se met à l’œuvre sans tarder. « J’ai eu le 9 janvier, écrit-il à son préfet, une des plus grandes consolations de ma vie : la grâce de pouvoir racheter un jeune esclave soudanais (de Dalla) enlevé il y a environ quatre ans à sa famille. » Il l’a appelé Joseph du Sacré Cœur car il pense « qu’il se convertira » mais ne compte pas le garder auprès de lui pour deux raisons : la première, parce que « toujours il faut dépayser les musulmans convertis (si légère que fût leur teinture) pour les sortir de leur ancien et si mauvais lieu…du moins jusqu’à ce qu’on voie la possibilité d’avoir un noyau un peu fort de chrétiens en un lieu » (33) ; la seconde, parce que Joseph, envoyé à Alger, pourra « témoigner ». Il le sera effectivement en mars 1902.

Son achat a été négocié par un intermédiaire, âprement semble-t-il. Il y en aura d’autres. La négociation n’aboutit pas toujours. Le prix varie entre 200 et 400 F. Lorsque l’esclave acheté laisse espérer sa conversion ou la demande, il reçoit un prénom chrétien. Sans être une condition sine qua non, cette intention joue un rôle majeur. Foucauld s’intéresse en premier à « ceux qu’on sait, qu’on espère disposer [sic] à devenir de bons chrétiens » (34). Après Joseph, sont évoqués (contradictoirement) les cas de Najem (juin), Salême (juillet), Abd Jésu (juillet), Paul (septembre), un père de famille marocain, Pierre (janvier 1903), Magdeleine (février). Pour cette dernière, « décidée à devenir une bonne chrétienne », il s’était déclaré prêt à monter jusqu’à 550 F.

Ce sont ses « banquières » habituelles, sa sœur et ses cousines, qui fournissent les moyens de la dépense, Marie de Bondy surtout. « Je n’ai qu’à demander, elle paie », se vante-t-il (35). Pour avoir permis l’achat d’Abd Jésu « juste pour 200 F », elle en sera la marraine. Le garçon de 4 ans est « solennellement » baptisé dans la chapelle de Beni Abbès le 14 août 1902. Il figure dans les bras de son bienfaiteur sur la photographie de l’ermite la plus reproduite de son vivant. (Envoyé à l’orphelinat de Thibar en Tunisie, il y mourra en 1910.) Ce baptême sera suivi en mai de celui de Marie Croix, vieille aveugle réfugiée à la Fraternité. Foucauld en 30 ans, ne pourra pas se réjouir de plus de conversions.

 

L’évangélisation du Maroc est passée au second plan et le projet de fondation reste désespérément suspendu à l’arrivée de compagnons. L’ermite ainsi redéployé, levé à 4 h, couché à 20, se multiplie en adorations, travail manuel, hospitalité, causeries, aumônes, soins, offices. Il se réveille à minuit pour prier durant une heure. Ce régime le surmène de toute évidence mais l’écriteau de la sacristie l’énonce : « il te faut haïr et mépriser tout ce que tu as aimé sur la terre », et, ajoute-t-il dans son diaire en date du 15 octobre 1902, se faire violence pour avancer dans la vertu. Cependant dirions-nous du temps qu’il consacre à Abd Jésu et Paul, qu’il est souffrance ? Tous les jours, il leur fait la lecture, mange avec eux et assiste à leur coucher. « J’ai eu des joies, confie-t-il à sa cousine au seuil de la nouvelle année : je puis, grâce à mes deux enfants, exposer depuis quelques jours le Très Saint Sacrement tous les jours ».

Le 1er juin 1903, le préfet apostolique du Sahara, Mgr Guérin, accompagné d’un autre Père blanc, retardé faute d’autorisations de voyager, arrive à Beni Abbès. Le prélat veut juger en situation de celui qu’il considère avec admiration comme son « cher anachorète saharien », un « véritable saint », le « marabout chrétien » (36). Il partage la même soif de pénitence. Sa visite est à la fois d’amitié et de contrôle. Guérin est chargé de faire entendre raison à l’ermite sur la question de l’esclavage. La hiérarchie s’est exprimée : l’ermite ne doit pas s’en occuper directement. Il manque de la prudence et de la discrétion nécessaires (37) et risque de compromettre avec sa propre mission, celle des Pères blancs au Sahara. « Il me semble, décoche l’abbé de ND des Neiges à son ancien novice, que vous transformez trop souvent vos idées personnelles, quand le but est bon, en ordre du ciel. » (38)

Foucauld résiste à peine. Si son indignation reste entière contre l’injustice d’un système qui punit « le vol d’un poulet et permet celui d’un homme » et contre des religieux qui se tiennent en « sentinelle endormie » face à elle, il est d’autant plus disposé à s’incliner qu’il a touché les limites, au moins matérielles, de son œuvre : l’accueil des esclaves lui demande beaucoup d’énergie ; les rachats l’ont « ruiné » selon sa propre expression et mettent à mal son vœu de pauvreté ; ils le rendent dépendant des militaires, seuls intermédiaires possibles à défaut d’indigènes que « sa position officielle » lui interdit de solliciter ; ils exigent le « plus grand secret » pour éviter « une foule de difficultés » ; et, comme nous allons en juger, le bienfaiteur n’est pas payé en retour. L’œuvre cesse. Foucauld n’en fera plus aucune mention, mais restera jusqu’à sa mort membre de la Société Anti-Esclavagiste de France.

 

Cul-de-sac.

Le libérateur d’esclaves est clair : affranchis, ils doivent être éloignés de Beni Abbès et des mauvaises influences qu’y exercent il ne dit pas qui ni quoi. Joseph est parti pour Maison-Carrée au bout de 2 mois ; Pierre après 3 mois de catéchuménat a préféré rentrer chez ses parents à Tiriouin ; Abd Jésu a suivi Guérin en juin. Pourquoi Paul ne l’a-t-il pas accompagné ?

Sur le certificat d’achat, Paul se nomme Bonita. Il sera par la suite nommé Embarek ou M’barek. Foucauld l’appelle simplement Paul. Il est âgé de 14 à 17 ans « environ ». Il s’occupe du benjamin, prépare les repas, balaie, et jardine (39). Le garçon ayant nettement déclaré vouloir se convertir, il a reçu en conséquence une instruction catholique d'abord sommaire puis, à partir de janvier 1903, plus poussée. Mais, alors que la venue du préfet est annoncée, Foucauld constate que son catéchumène « n’est pas de confiance » : il s’en remettra au jugement de son supérieur lors de son passage. Celui-ci n’aura pas à le donner. Le 2 mars 1903, Paul a « quitté » son protecteur, « assez mal » (40), « après de grosses fautes ». « Je lui ai ouvert les portes toutes grandes ». Or à peine Guérin s’en retourne-t-il, ébloui par le spectacle de la Fraternité où il a passé 5 journées intenses, que son « grand nègre Paul » réapparaît. Foucauld en est rempli d’espoir. Il a une nouvelle idée en tête.

Son ami Laperrine l’a convaincu entretemps de l’intérêt d’une mission plus assortie à sa vocation. Les troupes françaises ont vaincu un fort parti de Touaregs à Tit. La route du Sahara central s’est ouverte. Le commandant supérieur des Oasis, créateur et commandant des Cies sahariennes, ambitionne de relier par cette route Alger et Tombouctou. Il veut tester et asseoir la soumission des Touaregs Hoggar. Le chef ambitieux voit la présence de l’ermite à ses côtés puis sur le terrain comme un atout maître dans la « conquête pacifique » d’un pays que l’immensité, le dépouillement et l’hostilité empêchent de peupler de soldats et de colons. Il voit l’ami qu’il a fréquenté 20 ans auparavant comme une espèce d’officier démilitarisé et croit pouvoir l’instrumentaliser. Mais à l’heure de la séparation de l’État et de l’Église, sa combinaison doit rester officieuse sinon secrète. Et Foucauld l’accepte, quitte à revenir sur ses engagements primitifs.

Dans une lettre à Guérin écrite 2 semaines après son départ, l’ermite dépeint la vie qu’il entend mener désormais : « solitaire, mais sans clôture, en faisant mes efforts : 1° pour être en relations de plus en plus intimes avec les Touaregs (faisant des excursions chez eux aussi souvent que possible), 2° pour traduire en leur langue le saint Évangile [...], 3° pour aller, au moins une fois par an, dans chacun des postes [...] où il y a des Européens, afin d’y administrer les sacrements [...], 4° pour voyager à petite journée de manière à causer, le long des voyages, avec les indigènes [...] » (41).

Les raisons de ce basculement sont nombreuses et variées. Elles procèdent de la déception. Foucauld s’ennuie à Beni Abbès comme naguère en garnison à Sétif ou à Mascara, même s’il déborde d’activité. Son rôle d’aumônier ne lui suffit pas. Du côté des Petits Frères du Sacré-Cœur de Jésus, rien ne vient. Les trappistes font obstruction et les Pères blancs n’ont personne. Aucun candidat « à avoir la tête coupée, à mourir de faim, à [lui] obéir en tout bien » ne s’est présenté et il est seul à suppléer à toutes les tâches de la Fraternité. Malgré l’aide des soldats mis à sa disposition et des domestiques embauchés, il est « débordé par les occupations extérieures » comme il s’en plaint à Guérin (42), au point de ressentir les signes de la fatigue (maux de tête et fièvre). La Fraternité ne désemplit pas : 30 à 40 voyageurs par jour, 75 pauvres venus solliciter la charité en une seule journée…

Du côté du Maroc, rien ne se dessine non plus. Les opérations de pacification menées à la frontière ne débouchent pas sur la conquête souhaitée.

Enfin, question esclavage, le camouflet est cuisant. Joseph, le premier affranchi, qui se montrait presque prosélyte, a faussé compagnie aux Pères blancs qui l’accompagnaient au Soudan pour l’aider à convertir sa famille. Un Judas ! « Nous ne sommes entourés que de cela : nègres, arabes, joyeux… », commente-t-il (43). Après l’emballement initial, la chute est douloureuse : « ni famille, ni chasteté, ni probité, ni vérité, ni bonté chez la plupart des esclaves… » (44). Exit le rêve de former une « petite chrétienté », dans l’esprit et l’élan des premiers chrétiens.

Mais Foucauld voit également ses propres insuffisances. Même s’il s’efforce de prêter la main au ménage des chambres et à des tâches peu ragoûtantes, il connaît sa « manière de [se] dégager des soins matériels » et, alors que ce type d’activité est censé le rapprocher des indigènes et leur donner le bon exemple, il déplore, lors de sa retraite de 1903, de ne pas avoir « eu une familiarité assez fraternelle » avec eux et de « les [avoir] tenus à distance avec la hauteur d’un supérieur » (45). 

 

En route pour le Hoggar : échappée ou échappatoire ?

On sait quel argument a utilisé Laperrine pour emporter l’adhésion de son ami. Il lui a fait part, en juin 1903, de la « très belle attitude » d’une noble Targuie lors du massacre de la mission Flatters (46). Cette femme a tenté de sauver des vies européennes par compassion et charité. Foucauld a hâte de la rencontrer et de vérifier les enseignements de Duveyrier : que les Touaregs forment un véritable peuple où les traces du christianisme sont encore fraîches, spécialement « dans leurs mœurs » (47).

Les Noirs l’ont déçu. Les Arabes sont barricadés derrière leur religion. Les Berbères plus accessibles, sont retenus par leur « esprit national ». Mais parmi eux, les Touaregs lèvent de nouveaux espoirs. Après avoir été retardé par ses obligations d’aumônier auprès des légionnaires blessés dans le combat d’El Moungar, Foucauld prend la route du Hoggar. Parti de Beni Abbès le 13 janvier 1904 avec 50 fantassins, il retrouve Laperrine à Adrar. De là commence la « tournée d’apprivoisement » telle que l’a conçue le chef, « dont le seul but est de mettre en confiance ces populations qui nous connaissent si mal et sont encore méfiantes » (48). Après s’être vu refuser la poursuite vers Tombouctou au puits de Timiaouin, la colonne rebrousse chemin. Foucauld, qui n’est pas autorisé à rester en arrière, se joint à l’expédition Roussel qui nomadise plus au nord. En chemin, il apprend la tamahaq. Après plus d’un an de piste, l’ermite rentre à Beni Abbès. Son projet a de nouveau évolué.

 

Paul en chemin

À Henry de Castries, qui l’a, un des premiers, guidé vers sa destination saharienne, Foucauld rend compte de son périple : « De géographie, d’exploration, je ne fais pas l’ombre, lui écrit-il d’Iseken  le 17 juin 1904 ; je me laisse porter comme par une voiture, ce n’est pas non plus une évangélisation proprement dite [...] c’est un travail préparatoire à l’évangélisation [...] chez les Hoggar et les Taitok » (49). Il le confirme à Guérin qui ne semble pas bien comprendre ou apprécier la nouvelle orientation : il s’agit de « préparer, commencer l’évangélisation des Touaregs » en s’établissant chez eux, en apprenant leur langue et en liant avec eux des rapports « aussi amicaux que possible » (50).

Même si un de ses premiers objectifs est la traduction de l’évangile en touareg, l’ermite ne met aucun militantisme dans l’idée qu’il se fait de l’évangélisation. Il la réserve aux missionnaires auxquels il ouvre la voie. Lui ne se voit qu’en « défricheur ». Il a abandonné (transitoirement) toute clôture. La fondation est passée au second plan. Son évangélisation sans parole est toute dans « la présence du Très Saint Sacrement » qu’il faut porter plus loin dans le Sahara, là où Jésus n’est encore jamais « descendu corporellement ». En un mot, source et sommet de toute l’évangélisation pour Foucauld, c’est « la Messe avant tout ». (51)

Or pour qu’un prêtre puisse dire la messe, il faut qu’au moins un chrétien y assiste. Dans les circonstances exceptionnelles du Sahara, le préfet a demandé un indult à Rome. Devant le refus papal et la pénurie de chrétiens baptisés, il a personnellement autorisé Foucauld à célébrer avec un simple catéchumène dans les limites de « la messe privée » (52). Et c’est ainsi que Paul, hier encore si peu digne de confiance, se retrouve embarqué dans la tournée d’apprivoisement. « Je pars avec le petit nègre de 18 ans, dont je vous ai parlé, pour me servir la messe », annonce-t-il le 13 janvier 1904 à Guérin à qui il avait déjà expliqué :

« Une chose qui a une vraie importance et qui a contribué à m’incliner à partir, c’est que j’aurai un servant de messe catéchumène… Un jeune esclave, libéré le 8 septembre 1902, avait passé sept mois à la Fraternité et reçu l’instruction religieuse durant ce temps, avec l’hospitalité… Il était parti en avril 1903, et est revenu peu après votre passage ici… Depuis juillet, il a repris sa place à la Fraternité, se conduit convenablement, et de lui-même m’a demandé à continuer de recevoir l’instruction religieuse. Ma pensée est de l’emmener pour me servir la messe et m’aider dans tout le matériel. » (53)

La « tournée » terminée, un an après, Foucauld regagne son ermitage de Beni Abbès. Il est dans l’ensemble satisfait de Paul, même s’il a un court instant envisagé son remplacement : « Pour me servir la messe – et m’aider en tout, faire le pain, l’« asida », travailler au jardin, tout faire enfin, j’ai le petit Paul, écrit-il à sa cousine. [...] il m’a suivi pendant tout mon voyage, et maintenant est à la maison, et je suis content de lui. » (54)

Six mois pour tirer la substance de ce premier périple et réviser les leçons reçues en route de cette langue touarègue étonnamment « riche », et fr. Charles de Jésus et son « enfant » Paul repartent pour une nouvelle pénétration saharienne. Début juin 1905, ils rallient la mission Dinaux, où se côtoient un géographe, un géologue, un écrivain et un inspecteur des Postes. Plusieurs témoignages permettent d’imaginer le couple que maître et servant font.

Charles de Foucauld marche « à pas rapides, à demi courbé vers le sol, traînant par la bride un de ses chameaux de bât, suivi de son catéchumène Paul qui [conduit] l’autre » (55). Celui-ci va, « un gourdin à la main, derrière les chameaux de bagages, en psalmodiant des choses où on reconnaissait avec un peu d’attention des bribes de liturgie catholique. » (56) Tous les jours, à la halte, Paul aide à dresser la tente prévue pour l’office. La messe y est dite, « sans autre témoin que Paul » (57). Et quel témoin !

Lehuraux donne un aperçu moqueur du « singulier enfant de chœurs ». Il le décrit portant « sur sa gandoura de toile un collier fait d’objets les plus hétéroclites : boutons d’uniforme en cuivre, verroteries multicolores et surtout une collection de petits sachets en cuir et en métal qui renfermaient des versets du Coran ainsi que d’incompréhensibles incantations d’un sorcier du pays destinées à éloigner les mauvais génies » (58).

 

À Tamanrasset

Au cours de ce second voyage, Foucauld rencontre le chef des Touaregs Hoggar soumis, l’amenokal Moussa Ag Amastan et avec lui, sur ses indications, le 11 août 1905, il décide de s’installer « pour un temps inconnu » à Tamanrasset, « village de 20 feux en pleine montagne, au cœur du Hoggar et des Dag-Ghali sa principale tribu, à l’écart de tous les centres importants : il ne semble pas que jamais il doive y avoir de garnison, ni télégraphe, ni Européen, et que de longtemps il n’y aura pas de mission : je choisis ce lieu délaissé et je m’y fixe. » (59). L’ermite interprète cette installation comme « un signe de la volonté de Jésus ». Mais l’emplacement désigné par Moussa empiétant sur le territoire des dag Ghali, les travaux de terrassement sont suspendus et repris sur l’autre rive de l’oued (60). Foucauld demeurera en ce lieu « délaissé » jusqu’à sa mort.

Dans un premier temps, il conçoit d’y fonder une Fraternité bis en plus petit. « Je vois ici pour moi la vie de Nazareth pour un temps indéterminé, avec Paul travaillant avec moi le jardin et fabriquant des plats de bois » (61), « sans terre grande ni petite ; sans culture ». Le serviteur, hissé presque au rang de compagnon, est logé non loin du bâtiment étroit que l’ermite s’est fait construire et qu’il habite, dans une hutte en roseau, avec l’âne et les éventuels visiteurs. Donnant satisfaction, il est payé à l’année.

Sans désespérer de la venue de candidats Petits Frères du Sacré-Cœur de Jésus, Foucauld n’y compte plus dans l’immédiat. Dans l’« avant-garde » qu’il a voulue, il pense se borner à célébrer la messe et à « prêcher d’exemple », en menant la vie vertueuse et laborieuse qui manque aux Touaregs « orgueilleux et paresseux ». Il vise l’aristocratie. Mais le village de Tamanrasset est occupé par leurs vassaux plébéiens et des haratin vivant de leur travail.

À ce stade, Foucauld a appris assez de tamahaq pour communiquer avec le monde dans lequel il s’enfouit, d’autant que l’évangélisation qu’il conçoit se passe de parole. Toutefois, il n’entend pas s’en satisfaire. À deux titres. D'abord parce que cette langue qu’il découvre lui plaît – « une langue bien plus belle et plus vaste qu’on ne croyait » (62). Ensuite et surtout parce qu’il a compris le danger de déléguer ce pouvoir de communication. En utilisant des interprètes arabes pour s’adresser à ses administrés, le colonisateur fait le lit de l’islam. Il faut donc qu’il maîtrise assez la langue pour éviter le truchement. Colonial et homme d’Église en Foucauld se confondent : il réfléchit au moyen d’assurer une domination durable. C’est ainsi que sans tarder, il veut proposer à Moussa un voyage en France. Laperrine aurait voulu faire de lui le chapelain de l’amenokal. C’est au-dessus de ses forces. Moussa est un « musulman fervent », il l’a vérifié. Mais il se révèle intelligent et l’ancien vicomte n’oublie pas qu’il s’est lui-même converti à force d’intelligence.

Si s’ajoutent à son emploi du temps, en plus des prières, des messes, des travaux manuels… l’apprentissage du touareg et sa diffusion, les journées de l’ermite s’annoncent bien remplies. Mais le régime ne ressemblera pas à celui de Beni Abbès. La vie qu’il va mener est régulière ; les visiteurs seront rares ; et lui-même, bien que dépourvu de clôture, entend garder ses distances à l’égard du village. Quant à la question de l’esclavage, elle se pose tout autrement que dans la Saoura. « Chez les touaregs, [les esclaves] sont heureux », juge Foucauld, « en général » très bien traités. Mais « leur niveau moral est très bas ». Ils sont sans famille et « les négresses jeunes servent toutes d’instruments de plaisir » (63). La position des autorités a changé : « les chefs d’annexe des oasis ont pris des mesures pour la suppression de l’esclavage ». La vente est progressivement interdite et l’affranchissement, automatique en cas de maltraitance.

 

« Quel triste catéchumène ! » 

Le 26 octobre 1905, le détachement militaire de protection quitte Tamanrasset. Foucauld se retrouve seul avec Paul. Làs ! le jeune Noir fait à nouveau des siennes. Durant l’escale de Beni Abbès, son maître avait su le préserver de l’influence extérieure. Il expliquait à sa cousine : « je ne reçois pas d’hôtes musulmans, pour garder à Paul [...] le milieu et l’état d’esprit où je [le] désire ». « Pas de soldats, pas de mauvaise compagnie. Pour le moment, c’est très bien. » (64) Ce filtrage est impossible en ces nouveaux lieux. Impossible d’empêcher l’ancien esclave de fréquenter ses semblables et ses voisins haratin. Or l’islam, même s’il est effectivement peu pratiqué, est chez eux plus qu’une teinture et la liberté de leurs mœurs est communicative. Gautier, le géographe de la mission Dinaux, ajoute un détail : « Ce que Paul avait en outre de plus particulier, c’était la réputation de manger tout ce qui lui tombait sous la main, c’était « un mangeur de choses immondes ». Et le témoin facétieux d’extrapoler : « naturellement cela ne suppose pas seulement un estomac complaisant, mais aussi, chez un primitif, une conscience élastique » (65).

Très vite, Foucauld recommence à douter de Paul, au point qu’il ne le paie plus que mois par mois dans l’éventualité d’un renvoi. Le paiement de ses gages n’en est pas moins la « plus grosse dépense » comme il le révèle à l’abbé Huvelin. Il se plaint : « quel triste catéchumène ! je le garde avec moi, malgré l’inconvénient qu’il y a pour un prêtre à avoir à son service un très triste sujet [...]. À moins que ses fautes ne deviennent presque des crimes je le garderai avec moi, me souvenant que Jésus a gardé Judas, en m’efforçant de le rendre meilleur, afin de pouvoir célébrer la sainte messe, que je n’ai pas le droit de dire sans personne… » (66).

Au cours des premiers mois de 1906, « le petit nègre de 20 ans [...] va de mal en pis (au moral) » mais Guérin questionné est formel : la messe avant tout. Tout compte fait, le 17 mai 1906, Paul fait ses adieux à son libérateur. Est-il renvoyé ? Part-il de son propre mouvement, lassé de constants reproches ? Aucun indice ne laisse trancher. Mais deux semaines plus tard, un fait se produit, que le prêtre esseulé identifie aussitôt à une faveur divine : son ami Motylinski, interprète militaire berbérisant missionné pour une « exploration linguistique et sociologique » dans le Hoggar, arrive à Tamanrasset escorté de 5 méharistes et d’un guide. Les deux hommes se connaissent et s’apprécient depuis1882. Ils se sont revus dans le Sud algérien en 1885. Le « miracle » n’est pas seulement de permettre à Foucauld de continuer de célébrer la messe grâce à cette présence inopinée. L’hôte de passage est un fin linguiste. Il va initier l’ermite à sa science, sur le terrain en l’entraînant dans un travail de collecte prématurément interrompu par une morsure de vipère, en chambre en modifiant son approche encore trop pragmatique du touareg.

Jusqu’à ces retrouvailles, Foucauld travaillait à un lexique à usage pratique destiné aux missionnaires militaires et religieux à venir. Dorénavant, il se découvre, ou redécouvre, une vocation scientifique.

 

Une vocation recomposée.

Avec la même rage qu’il a exploré le Maroc, il explorera la langue et par la langue, la civilisation du peuple qu’il s’est donné mission d’évangéliser. Motylinski a su lui imprimer, en même temps que l’amour de la linguistique et de cette langue particulière, aux origines mystérieuses, que parlent les Touaregs, une méthode : « Un peuple antéislamique [...] à prendre sur le vif ; une littérature (30 à 40 mille vers) antéislamique, si l’on peut dire, à recueillir [...] ; un passé antique à reconstituer [...] ; une société féodale, très particulière comme mœurs » (67).

Foucauld croit-il vraiment à cette antériorité dont l’existence serait bien faite pour faciliter la conversion des Touaregs ? Du moins justifie-t-elle la nouvelle vocation linguistique qui se déclare en lui au risque de bousculer derechef son engagement religieux. En effet, quand le travail manuel tenait encore une place centrale dans la vie du Petit Frère – gage de l’abjection et de la pauvreté dues à l’imitation de Jésus le Nazaréen –, il se trouve de fait évincé. L’ermite a certainement fait sa part de « cet humble, vil et béni travail manuel », à la Trappe en sciant du bois ou en piochant les champs, chez les Clarisses, en s’occupant à de petits travaux, à la Fraternité en maçonnant, jardinant, lavant le linge. Dans l’intervalle des tournées d’apprivoisement, Paul le supplée. Mais de retour à Beni Abbès, un changement s’est produit. Khoua Carlo passe ses journées « remplaçant le travail manuel par des copies de touareg et d’études faites au cours de l’année de voyage » (68).

À Tamanrasset, les travaux linguistiques se substituent complètement et définitivement au travail manuel. Dès 1906, le temps de labeur est « employé à étudier la langue touarègue, et surtout à en faciliter l’étude à ceux que le Bon Dieu enverra. » (69) D’année en année, de retraite en retraite, Foucauld remettra pour la fin de ces travaux le « si bon, si béni, si chéri » travail des mains (70). Or la fin est indéfiniment repoussée. En juin 1908, il pense en avoir encore pour 10 ans.

Cette substitution ne vaut pas trahison en théorie. Le fondateur a prévu dans le règlement des Petits Frères du Sacré-Cœur de Jésus une équivalence entre « travail manuel » et « travail apostolique », c’est-à-dire « conversations individuelles avec les infidèles et à l’occasion avec les chrétiens ». De même, dans le directoire de l’Union de prières qu’il va créer, il prévoit de moduler la quantité de ce travail des mains selon les aptitudes, les attraits, les besoins des associés, à charge pour le supérieur d’en juger, du moment qu’il en reste par jour au moins « quelques instants ». Et lorsqu’il cherche à attirer à Tamanrasset le brillant Massignon, Foucauld prend soin de l’assurer comme d’une évidence : «  Pour vous, le travail manuel serait habituellement vos travaux scientifiques » (71).

L’idéal du Petit Frère a glissé à n’en pas douter. Difficile d’admettre que « faire du dictionnaire », dans les conditions spéciales du Hoggar, soit un travail apostolique ou une prière… Mais l’insistance et la nécessité du labeur à forte dose n’avaient de sens que dans une imitation du Jésus de Nazareth, humble ouvrier caché. Or Foucauld n’est pas Jésus, il en a maintenant la certitude.

 

« J’ai cru que c’était la fin. »

La révélation s’est produite en janvier 1908. À cette date, à force de privations, de mortifications et de labeur, Foucauld frôle la mort. « J’ai cru que c’était la fin » avoue-t-il à Marie de Bondy, et dans cette éventualité jusque là imaginée sinon désirée dans la violence et l’exceptionnalité du martyre – « étendu à terre nu, méconnaissable, couvert de sang et de blessures, violemment et douloureusement tué » (72) –, l’ermite éprouve à ses dépens l’humaine mortalité et sa banalité ; il reconnaît sans conteste ce qui la provoque inévitablement : le « matériel » et tout près de lui, son propre corps : ce corps qu’impuissant, il voit vieillir, perdant à mesure ses cheveux, ses dents, sa vue, son attention… D’évidence, il n’a rien de surnaturel. Et ce qui le sauve in extremis n’est pas Dieu mais les habitants de Tamanrasset compatissants et Laperrine qu’il a alerté. Il leur saura gré de ne pas l’avoir abandonné cette fois. Mais l’important reste ce contact qu’il a pris avec la mort qui le terrifiait et le poursuivait depuis la plus petite enfance. Ce contact semble le guérir d’une angoisse qu’un nihilisme exacerbé, transmué en dolorisme chrétien, s’est chargé de sublimer. À partir de cette expérience, l’ermite amorce une lente mais inexorable réconciliation avec lui-même, marquée en premier par le renoncement au martyre et à la sainteté.

D’autres facteurs rien moins que physiques ont influé sur le déclenchement de cette « crise ». Foucauld mentionne en amont ses troubles de la prière. Alors que Motylinski est encore à ses côtés, il se déclare à son directeur spirituel assailli durant la prière par des « pensées insupportables » qui lui « font la guerre » et contre lesquelles les travaux linguistiques lui offrent un commode « refuge » (73). Ou bien ce sont des « rêveries » (74) ou de longues et constantes distractions. Or la prière est, avec le travail manuel, un des piliers de l’ordre qu’il veut fonder pour soi et pour les autres.

Mais voilà qu’au même moment les Pères blancs lui ont trouvé enfin un compagnon, frère Michel. Il s’agit d’un jeune Breton d’origine modeste, ancien zouave, novice à Maison-Carrée. Fr. Charles de Foucauld vient l’y chercher et le 10 décembre, les deux hommes prennent la route de Tamanrasset via Beni Abbès. Trois mois plus tard, à l’étape d’In Salah, le compagnon est durement congédié. Comment le fondateur aurait-il pu considérer cet épisode autrement que comme un échec personnel et à partir de là, ne pas perdre confiance en son projet ? Comment, méditant cette avanie, n’aurait-il pas ressenti comme une meurtrissure la mort de son ami Motylinski qu’il apprend le 7 mars 1907 ?

La mission Arnaud-Cortier à laquelle il se joint presque aussitôt lui aura-t-elle changé les idées ? Pour la première fois, il voyage sans Paul. C’est sans doute en le confondant avec un autre Oumbarek que le lieutenant Cortier écrit l’anecdote cocasse à quoi Paul Embarek doit en partie sa réputation péjorative. L’officier décrit dans D’une rive à l’autre du Sahara  comment le serviteur, « malhabile » et « stimulé sans acrimonie » par son maître, fait la vaisselle : « quel que soit l’objet, [il] s’achève en trois temps réguliers : 1e - coup de sa chemise donné dans l’objet, 2e - coup de doigt pour détacher le sable encore adhérent, 3e - souffle violent pour expulser les dernières poussières ». (75)

 

« Je n’ose pas dire que j’aime, mais je voudrais aimer ! ».

Foucauld quant à lui ne remet jamais en cause les compétences de son serviteur. Il critique seulement son comportement au regard du service de la messe et de la morale chrétienne. Et rien n’interdit de penser que Paul lui a manqué au cours de ces 5 mois d’expédition à travers le Hoggar. Aussi, à peine de retour à Tamanrasset, n’est-il pas mécontent de le retrouver. « Peut-être, s’interroge-t-il devant Guérin, vais-je reprendre avec moi le petit nègre Paul qui est venu me voir il y a quelques jours et s’est, dit-on, bien conduit depuis quelque temps ; s’il me demande à partager comme autrefois les prières, il pourra de nouveau servir la messe comme par le passé », (76) « à condition, rabat-il pour sa cousine, qu’il se conduise bien ». Ce n’est pas le cas : l’ancien esclave est repris mais sans le statut de catéchumène.

Et provisoirement. Plus soucieux du salut de son serviteur que de son propre sacerdoce, Foucauld n’a pas en effet l’intention de le garder. Il compte le ramener à la Fraternité et l’y laisser – à croire que les influences à Tamanrasset sont encore plus mauvaises qu’à Beni Abbès, quoi qu’il en ait pu en dire par le passé. La compagnie y serait « détestable » et risquerait de faire perdre son « âme » au jeune Noir. Mais le transfert ne s’effectue pas. Le jeune Noir se sera conduit moins que passablement. Il est renvoyé le 2 novembre 1907. La décision, que l’ermite prend malgré les conseils de Guérin, n’est pas sans lui coûter. Pas de servant, pas de messe. À moins d’un miracle, le Noël qui vient sera le premier que le religieux vivra sans messe depuis 21 ans, depuis sa conversion. Qui plus est, quand arrivera la fatale échéance, il n’aura pas reçu ni courrier ni visite depuis 2 mois et demi : « Que la volonté du Bien Aimé se fasse ! » (77)

Les dernières lignes que Foucauld consacre à Paul dans un courrier du 6 mars 1908 adressé à Guérin entérinent le choix de septembre et au-delà, pour la première fois, elles esquissent son portrait moral : « Dans ce milieu, par respect humain, par orgueil, il se tiendra toujours loin de Jésus. De plus, l’extrême liberté des mœurs générales et surtout des esclaves lui est très mauvaise… Il est d’ailleurs uniquement occupé des choses matérielles et semble ignorer qu’il a une âme. » Paul s’est détaché de la personne de son bienfaiteur et s’il lui rend encore quelques services, ils sont menus et espacés.

La question essentielle reste celle de sa conversion. « Il faudrait qu’il change infiniment pour chercher à se rapprocher de notre sainte religion. Si jamais il en exprime le désir ; ce qui m’étonnerait » (78). Cet « infiniment » en dit long ! Non seulement la conversion est donc sans espoir mais la présence même du garçon à Tamanrasset fait problème : « Ici, ajoute-t-il, il serait même mauvais que ce très triste sujet fût connu, vu comme catholique ou désirant l’être. »

Le sujet est parti. A-t-il été renvoyé comme le maître le note dans son diaire à la date du 2 novembre 1907 ou a-t-il « demandé à s’en aller » comme Guérin en est informé ultérieurement ? Foucauld se montre très rarement indécis dans ses relations avec autrui. Pourquoi s’abandonne-t-il dans le cas de son servant-serviteur à autant d’allers-retours, de hauts et de bas ? On pourrait le croire écartelé entre le respect dû à ses principes religieux et la pratique, entre la nécessité de la messe et l’impossibilité de la dire sans Paul. Foucauld instrumentaliserait son « petit nègre » comme Laperrine l’a instrumentalisé, pour un bien général et supérieur. Mais il n’est pas assez aveugle ou cynique pour ne pas voir à quel point le servant n’est pas ce qu’il devrait être. Autre chose lui ferme les yeux, quelque chose qu’on appellerait l’affection et qui tire de lui les « mon petit » ou « mon enfant » dont il sème le courrier le concernant. En mars, il termine la lettre à Guérin où il vient de relater leur « séparation » par cette tendre attention : « Paul, qui arrive au moment où je ferme ma lettre, me charge de tous ses respects pour vous et tous vos pères » (79).

 

Ce toit tranquille.

Pendant que la trace du « petit nègre » sur la vie de Foucauld disparaît, de grands bouleversements se produisent en celle-ci. Le premier date du 31 janvier 1908, le jour où l’ermite apprend que, par une faveur spéciale de Rome, il est enfin autorisé à célébrer la messe sans servant ni assistant. Délivré et faisant son deuil du ou des compagnons attendus, le prêtre libre de Tamanrasset redéploie la mission qu’il s’est donnée. À côté et presque à la place de la congrégation des Petits Frères du Sacré-Cœur de Jésus, il s’emploie désormais à fonder une association où religieux et laïcs uniraient leurs prières pour « le salut des infidèles de nos colonies ». Il la baptisera « Union des Frères et Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus » Son évêque à Viviers en approuve les statuts le 6 mars 1909. Beaucoup moins exigeante, l’Union renoue le lien physique entre l’ermite du bout du monde et sa famille, ses amis, son milieu métropolitain. C’est pour sa promotion que, 8 ans après l’avoir quitté – à jamais pensait-il alors –, il reprend pied sur le sol natal. Deux autres voyages suivront celui de 1909 pour la même cause apparente. De séjour en séjour, fr. Charles renonce à son costume saharien pour l’habit de Père blanc ou la soutane de Viviers, et reprend son identité. Il est Charles de Foucauld, le vicomte, l’explorateur, l’officier, le moine, le Saharien durant ces 19 jours, 27 jours et 4 mois en France. Nombre de photographies montrent la métamorphose.

Revenu au Sahara qu’il a jalonné de ses « ermitages », à Beni Abbès, In-Salah, Tamanrasset, l’infatigable voyageur s’engloutit dans ses travaux linguistiques. Il les mène officiellement pour le compte du commandement militaire. La séparation récente de l’État d’avec l’Église oblige les religieux à des précautions inhabituelles. Ces mesures excitent Foucauld. Il croit revivre sans exagération « le temps des catacombes ». L’incognito lui sied. Il semble prendre plaisir à maquiller ou crypter les informations qu’il échange. Il conseille même à sa hiérarchie d’envoyer comme missionnaires des religieux déguisés en ouvriers pour mieux déjouer la surveillance des autorités.

Il se cherche maintenant un perchoir afin d’observer plus facilement le cœur du désert. Sur les indications laissées par Motylinski, l’ermite de Tamanrasset explore l’Atakor et découvre émerveillé l’Asekrem. Il y fait construire avec difficulté et les aides habituelles, à quelque 2000 mètres d’altitude, sa « résidence d’été », son « ermitage de montagne » selon ses expressions. Le choix de l’Asekrem n’obéit pas à un souci purement technique ou tactique. La beauté des lieux a saisi celui qui prétendait au début de son « pèlerinage » se refuser aux joies terrestres. L’émotion esthétique, qu’il a déjà ressentie à Beni Abbès au spectacle du désert, joue un rôle certain. Avec elle – est-ce osé de l’imaginer ? – doit remonter à la mémoire du marcheur au bord de l’extase, le souvenir de ses chers disparus sahariens : Duveyrier, Morès, Motylinski… qu’il invoque souvent dans sa correspondance, l’un suicidé, l’autre assassiné, le dernier enlevé par le typhus. À ces morts s’ajoutent maintenant celles de l’abbé Huvelin et du père Guérin, ses directeurs, ses confidents. Puis viennent la guerre et son hécatombe.

 

La mort de Charles de Foucauld.

Lorsqu’elle va le prendre brutalement, l’ermite ne la désire plus ; il prend le soin de le notifier à sa cousine le 20 juillet 1914. Si la camarde lui apparaît, ce n’est plus qu’à l’horizon de la vieillesse. « L’âge avance pour moi, admet-il, et j’ai hâte de faire ce qui est possible et me serait utile de peur que plus tard il ne soit plus temps. » (80) Ce possible est identifié : il s’agit de l’Union à laquelle 49 chrétiens ont adhéré et de son œuvre scientifique. Qu’il rejette le terme et s’en défausse sur feu-Motylinski ne change pas la réalité : il a, comme l’écrira Gautier, « le feu sacré ». Quant à l’œuvre religieuse, il a prévu de retourner en France dès que la guerre sera gagnée, pour 6 mois calcule-t-il en décembre 1914, pour un an à un an et demi en février 1915…

Ses plans se briseront. Le 1er décembre 1916, Foucauld est abattu par le benjamin d’un groupe de rebelles en opération. Les circonstances de ce drame ont fait longtemps débat. Antoine Chatelard les éclaire à la lumière d’une masse de documents pour beaucoup inédits et de son analyse critique. Bavure ou non, ce meurtre ne survient qu’en un temps de guerre où la victime a non seulement pris fait et cause pour un belligérant mais l’a aidé activement en le renseignant, en le conseillant et en l’assistant. Cette guerre, européenne pour les uns, était devenue une guerre de libération pour d’autres et un djihad.

En l’espèce, le Petit Frère de Tamanrasset a de nouveau enfreint ses engagements religieux. Quand il devait se tenir à l’écart du monde, il prend parti, lit les journaux, surveille l’opinion et les mouvements de la population, informe l’état-major, stocke des armes chez lui, voue au peloton d’exécution les chefs de la dissidence antifrançaise … S’estimant « mobilisé sur place » comme il l’écrit à Laperrine le 1er juillet 1916, l’ermite croit faire à sa manière « une guerre juste », « une vraie croisade » contre les « Barbares », les « Turco-Boches », les senoussistes, les « fellagas » (les coupeurs de route). Jésus en aurait-il fait autant ? Foucauld ne se pose plus la question d’autrefois. Il se lance sans hésitation. En témoigne la transformation de son ermitage de Tamanrasset en fortin digne des kraks des chevaliers croisés – un symbole patent : le moine solitaire a remplacé sa clôture informelle par un épais rempart.

De la construction de cet imposant bâtiment, Paul a été la cheville ouvrière. Depuis février 1913, son nom réapparaît dans le diaire sous forme de laconiques : « Vu Paul ». Le 5 mars 1914, il a épousé Tablalt, une esclave originaire d’Aoulef. Le couple habite une hutte à 400 m du fortin. Paul est, le jour, auprès de Foucauld pour lui préparer les repas et exécuter toutes sortes de travaux ; le soir, il rentre à la maison. C’est lui qui, aidé de sa belle-mère et de 4 autres femmes du village, a bâti le fortin sous les ordres de son employeur qui le rétribue en nature. Celui-ci n’en dit maintenant que du bien : quoique « resté très expansif », l’ancien esclave « est devenu excellent ouvrier ; on se l’arrache comme jardinier, et il est maître maçon incontesté de Tamanrasset », s’enthousiasme-t-il devant Laperrine (81).

Entre le Blanc prématurément usé et le Noir de 30 ans, la relation a évolué. Il n’est plus question de conversion. Foucauld en a pris son parti : Paul sera musulman, comme tout le monde autour de lui. Si cet état de choses devait changer, ce ne serait pas avant un siècle, des siècles : « c’est affaire de très longue haleine ». Mais le catéchumène manqué force aujourd'hui le respect. Libéré des attentes de son ancien maître, il s’est fait sa propre vie, qu’il gagne honnêtement, et a fondé un foyer. La confiance qu’il inspire est telle que l’ermite lui remet le courrier secret destiné au commandant du fort voisin. Il le transporte caché dans un gros bâton creux. Et l’affection est restée. Pour Foucauld, Paul est un peu comme un fils. Aux visiteurs, ne présente-t-il pas son épouse comme sa « belle-fille » ? (82)

Ce lien privilégié est su de tous. Rien d’étonnant à ce que les agresseurs déboulant à Tamanrasset soient venus à la nuit tombée se saisir du couple pour le neutraliser et éventuellement l’utiliser contre l’ermite claquemuré. Mais quand ils sont conduits jusqu’à la porte du fortin, l’occupant a déjà été pris par ruse. Paul et Tablalt assistent en silence à son exécution et ne doivent leur salut qu’à l’intercession du chef du village. Le meurtre a été commis dans la confusion créée par l’irruption imprévue de deux méharistes dont la présence ne s’explique pas complètement. La mort avait-elle été programmée ? Les villageois auraient-ils pu l’empêcher ? Il est un fait que « au point de vue général on peut dire qu’au moment de l’assassinat du Père de Foucauld la totalité des cœurs Hoggars était acquise à la cause de nos ennemis. » (83)

Ce peuple que l’ermite a scruté durant des années, pour lequel il s’est dévoué, n’a fait aucune différence entre le religieux et l’ennemi dont il voulait se libérer. C’est l’échec final, maximal, de Foucauld que d’avoir ni su ni voulu se distinguer du colonisateur et d’avoir soutenu une violence qui, déguisée en « croisade », n’avait rien de sainte.

 

Si tel est l’écrit, comment donc est l’auteur ?

Les circonstances du crime sont sujettes à caution et, à défaut de boîte noire ou d’enregistrement de vidéosurveillance, elles le demeureront indéfiniment. Ce flou autorise les biographes à faire mourir le Foucauld de leur choix.

Il est possible que sa dernière parole connue, cri ou plainte voulant dire : « On tue le marabout », ait été un appel au secours. Elle peut valoir aussi bien comme une conclusion, comme la résolution d’une question longuement débattue de l’intérieur, comme l’évidence dénouant l’angoisse d’une vie entière. Je parlais en liminaire du rôle du déguisement chez Foucauld et donnais des exemples. Mais le corps est peut-être le meilleur des déguisements : la première fois que le Bienheureux s’est entendu appeler « Père de Foucauld », c’est à St-Cyr, à cause de son embonpoint !

Cet usage du travestissement, de l’accoutrement, de la signature, cette quête de sainteté et de surnaturel, prenons-les comme les signes d’un problème d’incarnation – un problème que Foucauld a vécu jusqu’au paroxysme, de la jouissance à la souffrance. Son rapport à Paul l’illustre. Il n’est pas le seul. Chaque fois qu’une personne s’est trouvée là pour le ramener à la réalité, qui est chair, qui est matière, qui est embuche, chaque fois qu’il s’est cru nu devant quelqu’un, chaque fois qu’un partenaire n’est pas rentré dans son jeu, il s’est cabré. Plongé de manière prolongée au contact physique, intime avec cet « autre » – par la confession, la classe sociale, la « race »… – dont il s’est trouvé dépendre complètement, l’orage n’a pas tardé à éclater.

Avec le rabbin Mardochée, son guide et « compagnon » de la reconnaissance au Maroc, il se montre d’une cruauté sans égale non seulement dans les mots, pour stigmatiser sa prétendue paresse et poltronnerie et moquer son corps, mais encore dans les gestes, allant jusqu’à jouer du bâton pour le faire avancer. Avec Michel, son « compagnon » breton jugé au départ de Maison-Carrée « très doux, tranquille, bien bon », il en arrive aux mêmes excès, incriminant sa faiblesse de corps et d’esprit. Avec Ba Hammou, son « compagnon » en touareg, le meilleur informateur qu’il ait eu de son propre aveu, la charge explose là aussi à retardement. Enfermé avec lui dans l’huis-clos de l’Asekrem, il finit par prendre en horreur cet Arabe « flemmard comme une couleuvre » et exagérément gourmand. Voilà trois hommes d’une différence que l’explorateur, le Petit Frère ou le linguiste n’a pas admise et qui, auxiliaires indispensables, lui ont résisté et en quelque sorte, démasqué. Avec Paul seul la rupture n’a pas été radicale.

Que devient le « serviteur » sans son « maître » ? Après être passé d’interrogatoire en interrogatoire, pour le compte de l’autorité militaire, de Bazin, du Vatican, sans jamais dissiper tous les doutes sur sa fiabilité, sa fidélité voire sa responsabilité dans le meurtre, il sera le guide des pèlerins venus de plus en plus nombreux au Sahara sur les traces de Charles de Foucauld. Malgré sa négritude, l’Église l’a reconnu au-dessus de la moyenne de ces « pauvres êtres bien abêtis et bien inférieurs » que sont dans l’ensemble, à son aune de l’époque, les Noirs. Il est pour le R.P. Joyeux, alors vice-postulateur de la cause de la Béatification venu l’interroger, « sans conteste le plus intelligent et le plus ouvert » (84). Le racisme refluant lentement, les jugements s’embellissent, les généralisations se retiennent. Fin 1960, L’Appel du Hoggar réserve à cet homme de 60 ans « resté très enfant » des lignes condescendantes : « Paul, à 15 ans, avait déjà une physionomie particulièrement contractée, souffreteuse, inquiète, fermée ; aujourd'hui [...] il s’est épanoui. En général, il est joyeux. Pauvre esclave, fils d’esclave, il appartenait à une catégorie d’hommes souvent peu doués sur le plan intelligence et volonté, habitués à être rebutés, considérés comme bons à rien, menés par la force et devenus par le fait même, surtout préoccupés de satisfaire leurs instincts. » (85)

Georges Gorrée, en annonçant dans cette revue même où j’écris à près d’un demi-siècle de distance, la mort du « compagnon du Père de Foucauld », survenue le 16 mars 1969 suite à une grippe, a les mots doux qui lui manquaient au début de son ministère. Mais en une quinzaine de rencontres, l’opinion du disciple de Foucauld s’est transformée. Il écrit : « Paul était devenu « l’ancien » de Tamanrasset, respecté et aimé de tous, jeunes et adultes. [...] tous ceux qui l’ont approché gardent le souvenir de sa gentillesse et de son beau sourire ».

Après avoir quitté Tamanrasset en 1921, le compagnon-serviteur du Bienheureux y était revenu avec sa femme en 1929 et s’était installé dans une maison construite par ses soins. Il avait trouvé au fort Laperrine un emploi de maçon. Le couple ne quittera plus le village. Il y élèvera ses 8 enfants, gagnant une notabilité qu’il ne devra qu’à ses talents et ses vertus. Paul y est connu sous le nom de Embarek Marabou.

Son histoire se termine, brodée à partir de trop peu d’éléments sur un tissu trop exclusivement français. Comment, à un siècle de distance, espérer ravauder les manques et une fois bien recousue, que déguisera-t-elle encore, cette histoire ? Rebondissant sur le questionnement initial, il sera temps de se demander : Mais si tel est l’écrit, comment donc est l’auteur ? Entendez « auteur » au sens le plus large. 

Jean-Louis Marçot

 

0 CHATELARD, 2000, 176, 219, 253, 317

1 CCF 44, 4e tr. 1956, 140

2 CCF 42, 3e tr. 1956, 262

3 AH 41, décembre 1960

4 LEHURAUX, 1944, 176

5 PERRON, 1982, 352, 366, 384, 513

6 FOUCAULD, 1958, 383 (Diaire de 1909)

7 FOUCAULD, 1966, 47 (à M. de Bondy, avril 1893)

8 FOUCAULD, 1991, 313 (le secrétaire de l’abbé général des Cisterciens, Rome, 17 mai 1903)

9 FOUCAULD, 1975, 103 (Résolution de 1902)

10 CCF 8, 1 tr. 1948, 147-148 (Laperrine, Revue de Cavalerie, octobre 1913

11 CHATELARD, 2002, 111

12 CCF 30, 2e tr. 1953, 63

13 CCF 34, 2e tr. 1954, 60-61

14 CHATELARD, 1995, 172

15 CHATELARD, 2002, 281

16 FOUCAULD, 1991, 323 (Rome protocollo 56862 « P. Carlo di Jesù anacoreta »)

17 CCF 22, 2e tr. 1951, 29

18 FOUCAULD, 1975, 97 (Résolution de 1902)

19 FOUCAULD, 1991, 326 (d. Martin à d. Sébastien, 22 décembre 2003)

20 GORRÉE, 1953, 128 (Rapport du chef d’annexe, 24 janvier 1902)

21 FOUCAULD, 1991, 311 (à d. Martin, 25 janvier 1903)

22 FOUCAULD, 1991, 238 (23 juin 1901)

23 FOUCAULD, 1998, 25 (à Livinhac, 15 juillet 1901)

24 FOUCAULD, 1966, 92 (à M. de Bondy, 8 décembre 1901)

25 FOUCAULD, 1998, 60 (à Guérin, 19 janvier 1902)

26 DUVEYRIER, 1864, 334

27 FOUCAULD, 1991, 158 (d. Louis à d. Martin, 13 avril 1897)

28 FOUCAULD, 1998, 99 (à Guérin, 28 juin 1902)

29 FOUCAULD, 1998, 67 (à Guérin, 4 février 1902)

30 FOUCAULD, 1998, 62 (à Guérin, 19 janvier 1902)

31 FOUCAULD, 1991, 255 (à d Martin, 2 octobre 1901)

32 FOUCAULD, 1998, 65 (à Guérin, 4 février 1902)

33 FOUCAULD, 1998, 122-130 (à Guérin, 30 septembre 1902)

34 FOUCAULD, 1991, 311-312 (à d martin, 25 janvier 1903)

35 FOUCAULD, 1991, 130 (à Guérin, 30 septembre 1902)

36 FOUCAULD, 1991, 319 (Guérin, 28 août 1903)

37 FOUCAULD, 1991, 277 (d. Martin, 11 février 1902)

38 FOUCAULD, 1991, 283 (d. Martin 25 février 1902)

39 BACF 15, septembre 1929

40 FOUCAULD, 1966, 111 (à M. de Bondy, 2 mars 1903)

41 FOUCAULD, 1998, 195 (à Guérin, 24 juin 1903)

42 FOUCAULD, 1998, 59 (19 janvier 1902)

43 FOUCAULD, 1998, 156 (à Guérin, 27 février 1903)

44 FOUCAULD, 1993, 25 (8 juin 1904)

45 FOUCAULD, 1975, 188 (Examen des 3 années 1902-3-4)

46 CHATELARD, 2002, 165

47 DUVEYRIER, 1864, 414

48 FOUCAULD, 1941, 87 (à Regnault, 14 juin 1904)

49 FOUCAULD, 1938, 154

50 FOUCAULD, 1998, 198 (à Guérin, 30 juin 1903)

51 FOUCAULD, 1975, 267 (Retraite d’In Salah 1905)

52 FOUCAULD, 1991, 320

53 FOUCAULD, 1998, 242 (16 décembre 1903)

54 FOUCAULD, 1966, 134 (à M. de Bondy, 21 mars 1905)

55 CCF 3-4, 1er tr. 1947, 38

56 GAUTIER, 1920, 141

57 LEHURAUX, 1944, 82

58 LEHURAUX, 1944, 93-94

59 FOUCAULD, 1986, 48

60 CHATELARD, 2002, 233

61 FOUCAULD, 1966, 143 (à M. de Bondy, 26 août 1905)

62 FOUCAULD, 1993(M), 62 (à Massignon, 15 août 1909)

63 FOUCAULD, 1986, 130 (8 juin 1904)

64 FOUCAULD, 1998, 319 (à Guérin 20 février 1905)

65 GAUTIER, 1920, 141

66 FOUCAULD, 1957, 243 (26 octobre 1905)

67 FOUCAULD(M), 1993, 62 (15 août 1909)

68 FOUCAULD, 1966, 134 (à M. de Bondy, 18 février 1905)

69 FOUCAULD, 1975, 266 (Retraite de 1905)

70 FOUCAULD, 1975, 212 (Retraite de 1907)

71 FOUCAULD(M), 1993, 63 (15 août 1909)

72 FOUCAULD, 1958, 326 (Nazareth, note du 6 juillet 1897)

73 FOUCAULD, 1957, 261 (15 juillet 1906)

74 FOUCAULD, 1957, 270 (17 septembre 1907)

75 GORRÉE, 1953, 200 (Lt Cortier, 4 avril 1907)

76 FOUCAULD, 1998, 526 (à Guérin, 2 juillet 1907)

77 FOUCAULD, 1966, 164 (à M. de Bondy, 25 décembre 1907)

78 FOUCAULD, 1998, 581 (à Guérin, 15 janvier 1908)

79 FOUCAULD, 1998, 611 (à Guérin, 6 mars1908)

80 FOUCAULD, 1991, 384 (à d. Augustin, 13 décembre 1912)

81 FOUCAULD, 1954, 40 (à Laperrine, 3 février 1915)

82 AH 40, septembre 1960

83 CHATELARD, 2000, 225 (Rapport du capitaine Dépommier, 11 septembre 1917)

84 BACF 16-17, 3e tr. 1929 (Le domestique du Père de Foucauld par le R.P. Joyeux pp. 64-70)

85 AH 41, décembre 1960

 

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CCF – Cahiers Charles de Foucauld, 1946 - 1956

AH – L’Appel du Hoggar, 1948-1963

BACF Bulletin de l’Association Charles de Foucauld, 1925 - …