Première semaine de janvier

UN BON SAUVAGE - Pourquoi ai-je signé l’appel des Indigènes de la République, et tardivement, sachant la polémique qu’il a suscitée ? Pourquoi ai-je apposé ma signature au bas d’un texte que je n’aurais pas écrit de cette manière, refusant entre autres un terme comme " gangrène " digne des pires ayatollahs pour qualifier " l’offensive réactionnaire " qui s’avance masquée ? Parce que, premièrement je me sens un indigène dans la République ; deuxièmement, je crois opportun de réunir des assises de l’anticolonialisme.

Si je reste convaincu que c’est la question sociale qui domine les rapports sociaux en France aujourd’hui, je n’oublie pas que l’Algérie a été dès l’origine présentée comme la solution à cette question. Soulager la métropole de ses chômeurs en les envoyant guerroyer ou coloniser outre-mer, dévier les turbulences et les rêves, redonner des motifs d'espérer et d'entreprendre à une élite fatiguée, offrir des débouchés à l'industrie nationale, tels sont les principaux arguments avancés par les " colonistes " de gauche pour justifier, dès 1831, la colonisation de l’Afrique. Entre question sociale et question coloniale, un lien fort et proprement français s’est noué sous la Révolution (échapper grâce aux colonies à l’encerclement économique et stratégique), avec la conquête d’Alger, puis avec le recours à l’immigration. La République, de la première à la dernière, a institutionnalisé ce lien, qui lui est en somme consubstantiel.

Je ne suis pas un immigré, bien que mes ascendances soient à moitié étrangères. Mais je pense avoir été victime de la discrimination dont les personnes issues des colonies et de l’immigration souffrent – une discrimination marquée par cet accent pied-noir si méprisé, ce sabir, aveu du mélange des sangs et des cultures dont j’ai mis quelques années à me débarrasser. La France m’a fait honte de mes origines. Je me suis senti jusqu’à l’âge adulte un " sous-Français " et encore aujourd’hui, je ne me reconnais pas comme un enfant légitime de la République. Je suis resté assez " sauvage ".

Quant à rassembler nos forces pour régler son compte au colonialisme et ses masques, oui, je crois qu’il en est temps, en cherchant à associer la recherche et la rue. De grands progrès ont été accomplis de part et d’autre (la réaction de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 " portant reconnaissance de la nation en faveur des Français rapatriés " et instituant l’enseignement du " rôle positif de la présence française outre-mer " en est la preuve). Qu’enfin nous puissions vivre entre égaux.

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