3e semaine d’août

MIDI SUR UN BANC  Comme à mon habitude, je vais lire le journal sur un banc du parc de la Mairie, face au soleil. Le lieu est abrité du tohu-bohu urbain et peuplé d’enfants rieurs. Par ce midi d’août, il est désert, ou presque. Je distingue, mal car j’ai ôté mes lunettes pour mieux m’extraire du présent, un homme affalé sur le banc voisin de celui vers lequel je m’achemine. Il marmonne en écoutant la mauvaise musique de son transistor.

- " Eh ! vieux ! tu n’as pas une cigarette ? " Je réponds que je ne fume pas. Il porte un maillot jaune vif, un teint et des cheveux foncés ; il semble ou soûl ou légèrement dément. Trente ans peut-être. Ma réponse l’indispose.

- " Eh ! le vieux ! Tu ne veux pas me la donner, ta cigarette ? Eh ! le vieillard ! "

J’ignore ses insultes en prenant place quelques mètres plus loin et plonge dans le journal. Plus troublantes que l’aigre son de la radio qui me rappelle la plage, ce sont les élucubrations de mon voisin qui continue de m’en vouloir et de flétrir mon grand âge.

Je suis maintenant seul avec lui. Les tilleuls sont nos uniques témoins. Va-t-il donner cours à sa colère ? Il se lève, mais c’est pour rejoindre l’ombre, à l’autre rive du parc. Me voilà tiré d’embarras, soulagé. Pas pour longtemps. L’énergumène est de retour, il se dirige vers moi de son pas chaloupé, approche son visage, type maghrébin - à cette distance, je peux le reconnaître. Il me redemande une cigarette.

- " Qu’est-ce que tu fous là ? Tu es flic, c’est ça ? Ah ! Je connais bien les flics, je t’ai tout de suite repéré. Tu es un flic. "

- Pourquoi ne dis-tu que des choses pas sympathiques ? Je ne suis pas flic et je ne fume pas. Et toi, qu’est-ce que tu es ? Algérien ? Moi, je suis algérien en quelque sorte…

- " Algérien ? Je hais les Algériens. Moi, je suis de Casablanca, marocain. "

- Je ne connais pas Casablanca. Mais je connais le Sud marocain : Marrakech, Ouarzazate, Zagora… C’est un très beau pays.

- " Oui, c’est vrai. "

La tristesse a recouvert son agressivité. Il me considère avec des yeux nouveaux, comme s’il découvrait sa méprise, puis il part sans un mot.

Il n’est pas facile d’affronter les situations où la violence menace. Je pense qu’on les vit mieux en gardant confiance au lieu de prendre peur ou de se préparer à se défendre.

*