Troisième semaine de décembre

LES PAUVRES A SAINT-MAUR SUITE - En nous dispersant le 3 décembre dernier, nous nous étions donné rendez-vous au prochain conseil municipal qui verrait la loi Gayssot et la question des immeubles vides en débat. Au jour J, c'est-à-dire jeudi soir, pour ne pas risquer d’être refoulés, nous prenons une bonne avance. Nous trouvons les abords et l’entrée de la mairie sous haute surveillance ; un grand concours de policiers, nationaux et municipaux, à pied ou entassés dans leurs voitures, montent la garde. Craignent-ils une démonstration comme le DAL sait si bien les organiser ? Mais nous sommes en banlieue, messieurs ! Sagement, nous attendons dans la nuit humide semée de petites lumières bleues. Elles pleuvent des arbres. C’est Noël, nous sommes dans le quartier - on dit ici le village -, le plus chic auquel est réservée la crème de la décoration. Des Champs Elysées de 200 mètres de long ! au bout, le pompeux palais où va se tenir le conseil.

Les portes s’ouvrent. Nous foulons le marbre, puis les tapis grenats. La salle du conseil récemment modernisée se remplit rapidement. Dans le public, je reconnais des employés municipaux et des gens de tout bord, en moyenne très âgés. Nous nous serrons sur les bancs de l’arrière-salle. Quelques signes de la main, quelques réflexions à haute voix, quelques blagues douteuses nous ont fait nous reconnaître : étrange cette proximité entre gens aux idées radicalement opposées. Chaque camp a ses supporters. La tribune se garnit, les adjoints prennent place. Sous eux s’alignent les autres élus de la majorité et en face, assez loin, l’opposition regroupée par familles : le clan de Vincens, ancien premier adjoint, aujourd'hui frère ennemi du maire qui l’interpelle " monsieur le clerc de notaire " (sa profession) ; le clan de Plagnol, député UDF, conseiller d’Etat, lui aussi transfuge, et les quatre élus de gauche.

Aux élections de 2001, Beaumont a été réélu pour la troisième fois sous l'étiquette divers droite (plutôt divers extrême-droite) avec 29,7 % des 60,87 % suffrages exprimés. Pas plus d’un Saint-Maurien sur cinq a voté pour lui. Cependant il dispose de la majorité absolue et, avec sa petite armée de 31 conseillers, il fait la loi, ou la défait. Le vieil homme agite la cloche. Le garçon à sa droite l’œil en coin veille à l’opération. C’est le porte-serviette, le premier adjoint, l’heureux dauphin. Il est deux fois plus jeune et deux fois plus petit que son protecteur, il a le visage bien plus plein, il représente l’avenir. J’ai cru entendre qu’il entamait une carrière dans l’immobilier.

Deux bonnes heures vont couler en débats techniques, en votes rituels et en duels oratoires d’une désolante médiocrité. Le maire s’amuse. Il grimace, monte le ton, menace, lâche un mot, le savoure. A Plagnol : votre " néanmoins " me gêne – votre nez-en-moins. Ses fans de 80 ans s’esclaffent. La scène est réglée d’avance. Beaumont la joue pour la 200ème fois peut-être. Est-il sénile ? Personne n’ose l’imaginer. Pourtant quelques regards ou sourires furtifs à la tribune ne sont pas ceux de l’admiration.

On s’égaie les premières minutes, puis on se lasse, puis on s’impatiente, puis on s’inquiète, puis on désespère : c’est là qu’est censée commencer la démocratie : dans une mascarade digne des pinceaux de James Ensor.

Arrive enfin la discussion de la loi Gayssot. Beaumont justifie son refus de l’appliquer, au risque de voir doubler l’amende qui frappe la ville. Une seule ombre ternit sa crâne obstination : la peur d’une déchéance prononcée contre lui. Pour son dernier mandat, le maire veut finir en beauté, et non en prison. Aura-t-il le soutien de son opposition de droite ? Vincens, Plagnol n’ont pas la dent assez dure contre la loi mais ils redoutent que Saint-Maur s’isole. Pas de pauvres à Saint-Maur, c’est entendu, mais rusons au lieu de braver. L’orateur socialiste, l’écologiste et le communiste font à tour de rôle une déclaration " de principe " émouvante. Que peuvent-ils espérer à quatre ? Le vote a lieu. La tribune ne comptabilise que les quatre non de gauche. L’opposition de droite, si véhémente dans ses discours, après s’être concertée, a décidé de ne pas exister : ni non ni oui, ni abstention, ni refus de vote : rien. Quel courage ! Du scandale des immeubles vides, il n'a pas été question.

 dessins de quelques conseillers