6h30 |
Je
me
lève
en
pensant :
je
suis
maigre
de
culture.
Je
consomme
beaucoup
mais
j’assimile
peu.
Quelque
chose
en
moi
s’insurge.
|
7h45 |
Direction,
la
gare
de
Saint-Maur.
Je
traverse
le
boulevard
au
passage
protégé
devant
une
berline
conduite
par
une
quadragénaire
blonde :
propre
et
rangée
des
cheveux
jusqu’à
la
banquette.
Elle
a
freiné
en
catastrophe,
persuadée
que
j’allais
renoncer
à
la
priorité.
Le
faible
doit
s’effacer
devant
le
fort,
le
piéton
devant
l’automobile,
moi
devant
cette
dame
importante
et
pressée.
Un
quidam
sur
l’autre
rive,
témoin
de
la
scène,
partage
mon
indignation.
Dans
un
cas
à
peu
près
semblable,
et
presque
au
même
endroit,
il
y
a
quelques
semaines,
le
conducteur,
un
jeune
homme,
était
reparti
sur
les
chapeaux
de
roue
en
me
lançant :
-" Ça
vous
coûterait
de
dire
merci ! ".
Morale
à
l’envers.
|
|
Le
temps
de
la
journée
qui
commence
est
compté.
Pas
de
course
imposé.
Comment
concilier
cette
précipitation
avec
la
minutie
des
recherches
que
je
dois
mener ?
Aller
à
Picto
déposer
un
film,
à
Richelieu
dépouiller
les
papiers
Buonarroti,
à
l’Arsenal
lire
les
articles
que
la
Revue
Encyclopédique
a
consacré
à
Owen,
Saint-Simon
et
Fourier
entre
1819
et
1830,
vaste
programme !
|
8h |
A
la
station
Gare
de
Lyon,
je
prends
le
métro
à
l’envers.
Plus
six
minutes.
Ça
commence
bien.
Sur
le
quai,
un
couple
de
jeunes
gens
éméchés
tente
de
s’engouffrer
dans
le
wagon.
Ils
tiennent
chacun
à
la
main
une
bouteille
d’un
liquide
incolore.
Le
garçon
la
brandit
en
mâchonnant
des
propos
incohérents.
Il
est
effondré
sur
le
sol.
Sa
partenaire
tente
péniblement
de
le
relever.
Un
voyageur
se
propose
de
l’aider.
Elle
le
repousse
en
répétant,
" -
ça
va
aller,
ça
va
aller… "
|
8h20 |
En
sortant
de
la
station
Bastille,
dans
le
dernier
couloir,
je
croise
une
jeune
aveugle
que
guide
un
chien
jaune.
Quand
j’arrive
à
sa
hauteur,
elle
tourne
le
visage
vers
moi
et
me
regarde.
|
8h30 |
Rue
de
la
Roquette,
deux
éboueurs
en
tenue
s’affairent
au
cul
d’un
camion
citerne,
deux
Maghrébins.
Le
plus
âgé
a
pris
une
giclée
de
boue
sur
lui.
Tout
le
quartier
pue.
Il
rigole.
|
8h50 |
Il
fait
gris.
L’odeur
de
l’herboristerie
du
Palais
royal
se
répand
dans
la
rue
déserte
que
je
remonte.
Ce
calme
incroyable
et
ce
parfum
à
la
fois
champêtre
et
médicamenteux
me
font
croire
que
je
ne
suis
plus
à
Paris.
|
9h |
**
rue
Richelieu,
sous
le
porche
gardé
par
deux
agents
de
sécurité,
je
vide
mes
poches,
passe
le
portique
électronique
et
présente
le
fond
de
mon
sac.
La
culture
est
sous
surveillance.
Vous
pouvez
lire
tranquilles.
Mauvais
présage,
je
pousse
la
lourde
porte
d’entrée
de
la
bibliothèque
au
lieu
de
la
tirer
comme
je
l’ai
fait
une
centaine
de
fois
auparavant.
|
9h10 |
Il
n’y
a
pas
de
quoi
être
superstitieux.
J’ai
la
chance
non
seulement
de
trouver
les
documents
recherchés,
mais
d’éviter
la
visionneuse.
Ils
n’ont
pas
été
microfilmés.
Mais
l’un
d’eux
est
déclaré
" incommunicable ".
Je
me
renseigne
auprès
de
la
conservatrice
en
insistant
sur
son
importance.
En
guise
de
réponse,
elle
revient
avec
le
document
et
me
le
confie
à
titre
exceptionnel.
La
magasinière
complice
m’invite
à
en
profiter
au
maximum
car
après
moi,
les
pièces
seront
envoyées
à
l’atelier
et
longtemps
inaccessibles.
Dans
les
bibliothèques
ou
aux
archives,
des
gens
adorables
côtoient
des
brutes
épaisses.
|
|
Sept
heures
sans
discontinuer
immergé
dans
la
vie
et
l’écriture
passionnante
de
Philippe
Buonarroti,
ami
de
Babeuf,
révolutionnaire
impénitent.
|
16h15 |
Je
plonge
dans
l’herboristerie,
aux
sources
du
si
doux
parfum
que
j’ai
rencontré
ce
matin.
Une
cliente
confie
ses
maux
à
mi-voix.
L’accorte
pharmacienne
la
console
avec
exhubérance.
|
16h25 |
A
force
de
traverser
la
cour
du
Palais
royal,
je
me
suis
habitué
aux
colonnes
de
Buren,
aux
nombreux
touristes
et
enfants
qu’elles
attirent.
Mais
difficile
d’imaginer
que
ce
lieu
fut
le
rendez-vous
de
tous
les
révolutionnaires
et
de
tous
les
voleurs
de
la
capitale
au
XIXe.
Corréard
y
avait
sa
librairie,
Au
Naufragé
de
la
Méduse.
|
16h45 |
La
bibliothèque
de
l’Arsenal,
c’est
le
vrai
luxe :
un
décor
ancien
et
stimulant,
un
personnel
diligent
et
aimable,
des
livres
rares
qui
ont
conservé
toute
leur
fraîcheur.
Ici,
non
seulement
le
temps
s’arrête,
mais
il
attend.
Dix
lecteurs,
cinq
magasiniers.
|
18h10 |
Je
fais
une
halte
sur
la
passerelle
du
canal
St-Martin.
Des
plaisanciers
manœuvrent
avec
force
rires
dans
le
bassin
en
cul-de-sac.
Un
air
de
vacances
flotte
sur
Paris.
Mais
je
suis
encore
tout
essoufflé
de
lecture.
|
18h30 |
Sur
les
vitres
du
train
qui
me
ramène
à
Saint-Maur,
des
autocollants
roses
en
partie
arrachés
réclament
la
liberté
pour
les
prisonniers
d’Action
directe.
Je
viens
de
lire
dans
le
Monde
que
les
assassins
dont
Tavernier
s’est
inspiré
pour
l’Appât,
condamnés
en
1988
pour
crimes
avec
atrocités,
eux
sont
libres
depuis
5
ans.
|
19h |
Le
Monde
de
samedi
que
je
trouve
dans
la
boite
aux
lettres
montre
à
la
une
Beyrouth
sous
les
bombes.
La
boule
de
feu
libérée
par
l’explosion
s’élève
à
plus
de
cinq
fois
la
hauteur
des
immeubles
les
plus
proches
–
une
puissance
terrifiante,
terrorisante…
Le
sous-titre
de
l’article
correspondant
indique :
" l’Etat
juif
a
détruit
des
infrastructures
civiles
dans
des
zones
à
majorité
chrétienne ".
Si
c’est
ça
le
présent… |