2e semaine d’août

MEMES LES CAUCHEMARS ONT UNE FIN  Sommeil de fin (ou de fond) de nuit perturbé par des pensées et des visions anxieuses. Je me représentais la haie de thuyas qui est en train de crever sous nos fenêtres. Les feuillages rouillent, se dessèchent, se consument inexorablement, de proche en proche. Même les trois conifères taillés en pain de sucre hors de la bordure sont atteints. Par endroit, les branches sont à nu. On voit à travers l’écran qui protégeait si bien le jardin de la rue. Il n’y a rien à faire, paraît-il.

Dans le même temps, le magnifique marronnier qui borne l’entrée, de l’autre côté du portail et donne aux bâtiments une grande partie de leur ombre se met lui aussi à roussir précocement. Une nuée de minuscules insectes ailés s’en dégage. Ils sont en train de le tuer.

A la fin des années 70, un parasite avait eu raison de tous les ormes de France. En Bretagne, anticipant sur les ravages du remembrement, il avait fallu raser des talus entiers. De cet arbre renommé pour sa résistance, je n’ai trouvé qu’un seul survivant, à Brantes. Le spécimen plusieurs fois centenaire domine la Poterne, au bout du village. Jusqu’à cet été je l’avais pris pour un frêne. Son haut fût sert de tuteur à une croix de bois plantée à ses pieds. A l’est, au nord et à l’ouest, il ne voit que les murailles élevées de l’église et du château ; au sud, il regarde le Ventoux, dont une vallée le sépare. Son isolement l’a sauvé.

Je méditais ces tristes faits entre deux somnolences, et d’autres encore : ne dit-on pas que des experts réunis en ce moment dans la glace sont occupés à constater la fonte des pôles et à envisager les conséquences néfastes qui en découleraient pour l’humanité ? Réchauffement de la planète, béances dans la couche d’ozone, choc des plaques continentales, désertification accélérée, nouvelles et mystérieuses épidémies, prolifération des armements nucléaires, etc. Le danger ne cesse d’augmenter au point qu’on ne sait plus d’où il peut venir.

L’angoisse ordinaire des gens a-t-elle jamais été plus forte ? La mienne au moins. Quand je suis dans le métro, il arrive un moment où je vois la foule qui m’entoure déchiquetée. A l’instant de la déflagration, je passais derrière ce pilier, je quittais ce passage, je descendais à cet arrêt. Parfois je m’imagine parmi les victimes. Dans cette rue, les murs s’écroulent, les toits volent en éclats, la voiture garée là explose. La menace, sinon le sentiment de la menace, s’accroît.

Les amies de mon âge meurent du cancer du sein – on incrimine la pilule, les hormones artificielles. Des proches, très remontés contre le tabac, meurent à cause de l’amiante. Ces produits étaient réputés sans danger, comme aujourd’hui les téléphones portables et quantités de substances naturelles ou synthétiques commercialisées avant que leurs effets à long terme ne soient connus. Elles tuent dix ou vingt ans après s’être introduites dans le corps. Nous faisons le dos rond : la mort ne s’est-elle pas introduite en nous dès notre naissance ? Et quelle part attribuer à la rumeur, à l’alarmisme, au besoin de sensations fortes ? Et le pessimisme n’est-il pas la pire maladie ?

Tout de même, nous pensons au monde que nous laissons à nos descendants, nos héritiers, nos continuateurs, à ceux de notre espèce. Est-il condamné ? Ne cherchez pas la réponse dans le journal télévisé. Une seconde vous inocule l’attente morbide de la calamité.

Dans le passé que j’étudie – celui du XIXe siècle qui a connu peste, choléra et guerres -, je ne trouve pas trace de cette angoisse diffuse. Est-elle propre à une génération qui vieillit, à une civilisation atteinte de sénilité ou à un mauvais dormeur ?

J’ai eu le tort de m’endormir sur la lecture de l’histoire de Boufarik. L’auteur décrit une invasion de sauterelles en 1868. Son récit a hanté ma nuit.

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