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  • Histoire de collectif

15 novembre 2006

Réunion au siège du PCF de Saint-Maur, du collectif local " pour un rassemblement antilibéral de gauche et des candidatures communes " : quelque vingt-cinq Saint-Mauriens, en majorité retraités ou pas loin de l’être, les uns organisés et mandatés, les autres minoritaires dans leur organisation, d’autres encore hors parti (sinon contre). La plupart se sont connus et regroupés à l’occasion de la campagne contre le traité constitutionnel européen.

J’ai posé des questions " techniques " : quel est le lien entre collectif local et collectif national ? Comment sont prises les décisions finales ? Qui finance l’action ? Les réponses m’ont semblé embarrassées. On réserve la question de la logistique (local, trésorerie, etc.) pour le lendemain de la désignation du candidat commun. En d’autres termes, le collectif n’existera vraiment que transformé en machine électorale.

Dans le tour de table inaugural, je me suis présenté comme un militant " replié " dont une partie de l’activité passée s’est dépensée " aux côtés des Kanak ".

La réunion close, Guy, qui a pris part à la discussion du programme du Collectif, reconnaît ses manques sur la question coloniale (ou post-coloniale) et m’invite à les combler. Effectivement, ils sont criants, et symptomatiques. Les indigènes de la République sont à nouveau oubliés, et le débat sur l’égalité réelle, escamoté.

Le programme pose les bases d’une VIe République. Bien qu’en France, les constitutions ne se soient jamais faites à froid, il est bon de proposer le dépassement d’un cadre hérité du bonapartisme gaullien ; et au moment de refonder le pouvoir et son partage, traiter sur le fond la question coloniale.

 

24 novembre 2006

Pour la première fois depuis mon arrivée à Saint-Maur, je fais une " diff de tracts " au marché d’Adamville. Je distribue à qui le veut le programme du Collectif baptisé " Une autre voix à gauche ". En préambule, le fripier me demande poliment mais fermement de m’éloigner de son étal, pour ne pas effaroucher la clientèle. Les gens qui défilent font grise mine et me refusent souvent mon quatre-pages que le vent et une fine pluie malmènent. Un jeune père entouré de sa marmaille : -"  Laissez donc les gens tranquilles ! ". Comme je lui demande en quoi ma distribution trouble la tranquillité publique, il répète son objurgation sur le même ton et s’éloigne en tournant plusieurs fois vers moi un regard torve. Seuls les rares militants de gauche présents acceptent une courte discussion.

 

4 décembre 2006

Le collectif comprend au moins quatre couples. Si j’inclus les trotskistes, les communistes sont nettement majoritaires. La décision repose sur " le double consensus ", savoir l’unanimité par concessions mutuelles, entre les militants d'une part, et entre les organisations représentées d'autre part. Ce soir, nous devons désigner par consensus le candidat qui portera nos couleurs. On nous demande non pas de voter mais d’exprimer la tendance dominante. À tour de rôle, nous nous prononçons. Les plus volubiles s’expliquent, certains avec éloquence. Nous avons le choix entre José Bové, Marie-George Buffet, Yves Salesse de Copernic, Clémentine Autain de Mix-Cité, Patrick Braouezec député communiste refondateur, et d’autres moins connus. Je me déclare en faveur de Bové bien que " l’altermondialiste " français le plus populaire vienne de se mettre en retrait du collectif qu’il croit manipulé. Placer la secrétaire générale du PCF au point de mire, ce serait permettre l’identification du collectif avec le parti. Il ne peut en être question. Mais, après tout, si le but est " une candidature à plusieurs visages et à plusieurs voix ", et s’il est vrai que les camarades qui s’offrent à " faire candidat " se valent, pourquoi ne pas laisser le sort les départager ? Et quel pied de nez au présidentialisme ! à cette dérisoire compétition. Ma proposition n’a pas l’air de plaire. Elle ne fait pas sérieux. Je crains de découvrir, non seulement que les candidats à la candidature ne sont pas perçus comme égaux, mais encore qu’on a envie d’entrer dans le jeu pour " gagner ". Gagner les élections ! Qui est le plus sérieux dans l’affaire ? Si je fais bien les comptes, quatre autres camarades se sont dits favorables au tirage au sort.

Ne nous laissons pas distraire. Notre force est dans notre unité, et dans ce que nous en avons fait : ce programme qu’il est urgent de discuter et d’enrichir au contact des gens. J’ai commencé au boulot. Le résultat n’est pas brillant. Les collègues le jugent " utopique ".

Échec au consensus. La majorité des présents en tient pour Buffet et rejette Bové. La minorité refuse Buffet. Le national nous demande de choisir un candidat en second. Les noms de Salesse et Autain ont été avancés, mais beaucoup ne les connaissent pas, ne se sont pas renseignés et se sont abstenus. Buffet ou rien, c’est leur alternative. Le collectif ne lui résistera pas.

 

5 décembre 2006

Salle plus que comble à la mairie de Montreuil, là même où nous avons écouté la délicieuse Souad Massi le mois dernier. À la tribune, figurent tous les porte-parole nationaux du collectif, sauf Bové, retenu contre son gré en Nouvelle-Calédonie. Un auditoire fervent, tendu vers le " 9-10 ", c'est-à-dire le week-end où sera désigné le candidat. Les orateurs ont signalé l’extraordinaire popularité du collectif, toutes les réunions en province se tenant, comme celle de soir, à guichet fermé. Mais on marche sur un fil au-dessus du vide. Il risque de casser le 9-10. La parole alterne entre la tribune et la salle - discours généraux et témoignages. Les uns parlent de leur place, modestement. Les autres se postent derrière le pupitre. Buffet est brillante. Salesse la dépasse, un véritable tribun.

Je ne sais pas si le mouvement dont ce meeting constitue un jalon est aussi nouveau et riche d’espoirs que ses représentants l’ont répété. À part cette fraternité entre ennemis d’hier, cette complicité entre communistes du PCF, trotskistes, libertaires, écologistes et autres " gauchistes ", tout me rappelle la pratique politique des années 1970.

 

13 décembre 2006

Lorsque nous critiquons le parti communiste, ses membres nous accusent d’anticommunisme, comme si leur organisation avait le monopole du communisme, comme si le courant de pensée qu’ils ont fait leur n’était pas né bien avant le PCF, et avant Marx même, comme si une critique ne pouvait être à leur endroit que destructrice, comme si le parti était sacré. Quand on critique Israël, est-on antisémite ?

Cette nuit, après avoir vu sur A2 la suite du Sartre de Goretta, j’ai rêvé que je rencontrais Jacques. Nous avons l’âge que nous avions lorsque nous nous sommes connus, en philo à la Sorbonne. Il me rappelle notre engagement à changer la vie, ou à défaut, nos vies. Nous n’avions pas la même conception de l’action. Jacques la voulait individuelle, subjective, " jouissive ", " révolution intérieure " était son maître-mot, que je tournais en dérision car moi, j’en tenais pour l’action politique, collective, organisée. La même alternative faisait qu’il comptait " subvertir " l’université du dedans quand je pensais la prendre d’assaut de l’extérieur. Au final, nous sommes sortis tous deux de la citadelle en nous éloignant l’un de l’autre.

Aujourd'hui, après un long détour, je suis à nouveau dans la politique. Trop longtemps retiré du présent, je n’ai pas les mots adéquats. Je voudrais les apprendre. Le collectif sera-t-il une école ? J’en doute. Le PCF ne s’ouvre que contraint. Sa présence ne relève pas d’une nouvelle orientation fondée sur le bilan critique de près d’un siècle de " centralisme démocratique ", mais semble plutôt procéder de la tactique. S’agit-il encore et toujours de considérer le mouvement de masse comme un simple vivier, une antichambre du parti de classe, ou de lui reconnaître une force indépendante, une nécessité politique ?

Le collectif est ce mouvement de masse, du moins je l’espère. En gage, il exige que le candidat soit désigné par consensus et non par vote. Cette règle, admise d’entrée de jeu, ne peut être remise en question. Elle est le style du collectif, le sceau de son authenticité et l’aveu de sa fragilité, le signe d’une autre façon de faire la politique, de la vouloir, une étape.

Plus de consensus, plus de collectif ! L’enjeu n’est pas de gagner des voix (il n’y en aura jamais assez) mais de repolitiser la masse des gens qui souffrent. Je ferai la campagne présidentielle pour promouvoir une autre pratique et repenser le communisme. Sur la base du refus populaire du tout-libéral, de cette révolte contre la Sainte-Alliance du libéralisme qu’est l’Europe actuellement, il y a moyen de reconstruire.

Être " anti " ne suffit pas. J’ai été anticapitaliste, antifasciste, antiraciste, antimilitariste… J’aimerais ne plus me définir en creux, par rapport à un système préexistant.

 

14 décembre 2006

Mille cinq cents délégués de 569 collectifs réunis le week-end dernier n’ont pu s’accorder sur un candidat. C’est la crise. Le risque d’éclatement est présent dans tous les esprits. Pourtant l’ambiance est plus détendue qu’à la réunion précédente. Une connivence se serait-elle tissée entre nous ? On s’appelle copains, amis, monsieur ou madame, plus rarement camarades alors que je ne connais pas de mot plus juste. On ne veut pas refaire le monde : c’est trop tard, c’est trop dur, c’est trop risqué. On se contente de s’opposer.

S’opposer au temps de Sartre coûtait bien plus cher. Le film de Goretta le montre. Dénoncer la torture en Algérie, qui était une évidence, même à l’époque, valait la prison. Devons-nous aujourd'hui demander des comptes aux hommes publics qui ont menti, aux juges qui ont condamné iniquement, aux tortionnaires qui ont attenté à l’humanité ? Ce ne serait que justice. Mais il y a des pays comme les Etats-Unis ou Israël qui utilisent officiellement la torture ou sous-traitent son usage, des pays qui veulent nous donner des leçons de justice !

Sartre s’est maintes fois trompé. Il n’est pas un penseur politique, il est une conscience. L'initiateur de l'appel des 121 prend position face au monde. Qui aujourd'hui inspire assez de respect et de crédit pour s’engager dans les causes les plus difficiles aussi courageusement et aussi impunément ? Je me souviens qu’en 1972, une ronde de police nous avait appréhendés alors que nous collions une affiche interdite sur les murs de l’usine Renault à Choisy-le-roi. Il s’agissait d’un appel à la vengeance après le meurtre de Pierre Overney. Les flics voulaient nous embarquer. Quand le plus ancien d’entre eux – sans doute le plus gradé aussi – a vu que l’appel était signé de Sartre – " Ha ! Si c’est Sartre ! C’est bon. Continuez, nous n’avons rien vu ". Qui aujourd'hui pourrait égaler son ascendant et nous servir de talisman ? Zidane ?

 

Nous sommes une vingtaine ce soir, nous faisons de la politique depuis trente ou quarante ans et nous voulons faire de la politique autrement. N’avons-nous pas eu assez de temps pour nous essayer ? La force née des comités de lutte, des coordinations de grève, des associations indépendantes comme Attac ou AC a-t-elle progressé, s’est-elle consolidée ?

 

15 décembre 2006

Le renoncement de la part du PCF à la candidature Buffet, à l’égal de notre renoncement à Bové, serait la preuve que le parti s’est engagé dans une nouvelle pratique politique, non pas l’élargissement de l’appareil mais la construction d’une alternative globale au défi libéral. Comment, sans cette preuve, même si la courte expérience du collectif local entretient l’espoir, croire qu’une organisation aussi autoritaire est véritablement prête à partager le pouvoir, ou mieux : à le concevoir autrement.

Après l’échec du 9-10, les militants communistes ne veulent pas se déterminer individuellement. Ils prendront leur décision en cellule. Ce n’est pas bon signe.

 

16 décembre 2006

Au restaurant la Canaille, sous l’œil débonnaire de Marx dont le portrait orne le dos de la façade, une femme d’une cinquantaine d’années attend depuis près d’une heure son partenaire. Elle lit, elle observe ses voisins, elle décline l’offre du patron qui lui propose un en-cas. Enfin, la personne attendue arrive. S’embrassent-ils ? S’excusent-ils ? La femme montre du soulagement mais sa tristesse ne se dissipe pas. Ils mangent face à face sans échanger un mot. L’homme observe ses voisins, la femme est plongée en elle-même. Puis le repas terminé, sans s’attarder, le couple s’en va. Ils n’ont pas réussi à se dire ce qui les consume en dedans.

 

21 décembre 2006

C’est la catastrophe. Les communistes de Saint-Maur ont voté à plus de 90 % pour le maintien de Buffet à la candidature, 10 points de plus que le résultat national. Ils veulent nous entraîner dans le piège électoraliste. Ils justifient leur choix parce que " Marie-George " fait la meilleure vitrine, a le plus de chances d'être élue. Nous avons une autre explication : pour conserver son groupe parlementaire et son train de vie, le PC a besoin du PS. Il veut négocier son ralliement contre un ministère aux présidentielles, un groupe aux législatives. Si c’est comme ça, s’emporte un militant, je déchire ma carte.

Pourquoi s’emporter ? La situation n’est pas mûre, voilà tout. La LCR grisée par les minables (mais non moins enviables) 4 % des dernières élections, joue solo. L.O. ânonne un sermon écrit il y a quarante ans. Le P.T. vibrionne pour présenter sa propre antiquité. Le petit monde trotskiste déjà divisé par trois ! Chez les écologistes, les gens qui ont goûté au pouvoir veulent en reprendre à tout prix. Quant à ceux qui ont su rester à l’écart, comme José Bové, ils se sont tellement singularisés qu’ils ont perdu le sens de l’action collective.

Au flou du collectif, car il faut le reconnaître, on ne sait pas bien qui le composent, comment il mandate, ce que représente la règle du consensus, le PCF local répond par un score à la soviétique ! Si j’ai bien compris, seul un membre s'est démarqué.

Ont-ils pu croire que leur décision n’allait pas sacrifier le collectif ? Nous, les " apartidaires ", sommes unanimes : nous acceptons d’agir avec le PCF, non pas derrière lui. Nous aurions concédé la candidature d’Yves Salesse, ex-conseiller du communiste Gayssot au gouvernement, ou celle de Clémentine Autain, " apparentée communiste ", mais pas question de la secrétaire nationale, adoubée par Marchais. La rupture est consommée.

 

27 décembre 2006

Pour les présidentielles de 1974, nous avions créé à Villeneuve-Saint-Georges un collectif révolutionnaire pour l’abstention. L’abstention ne fut jamais aussi faible : 12,7 % au deuxième tour. Krivine pour la LCR obtenait 0,4 % et Le Pen, 0,7 %.

À celles de 2002, l’abstention a grimpé jusqu’à 20,3 %, Besancenot jusqu’à 4,25 et Le Pen, jusqu’à 16,86 %. En ajoutant les 1,6 % de votes nuls, on peut dire que 35 % du corps électoral français s’est exprimé en dehors du jeu démocratique classique.

Aux Européennes de 2004, l’abstention a atteint 57,2 %. Au référendum sur le traité constitutionnel européen qui a suivi, l’abstention a été de 30,66 % et le non, de 55,68 %.

Le collectif hérite de cette situation. C’est une tentative pour aller au-delà des routines politiques incarnées par les partis, les rendez-vous électoraux, les orchestrations médiatiques. Sur la lancée du non à l’Europe libérale, du non à un système social qui exacerbe la concurrence et l’égoïsme au détriment des plus faibles, il est possible de reconstruire. En 2005, le " peuple français " a fait irruption sur la scène politique. Il a opposé sa souveraineté. Je ne sais pas s’il faut applaudir à tout rompre car ce même peuple réclame le rétablissement de la peine de mort, entre autres délicatesses. Mais l’impulsion a été donnée.

Revenons à l’essentiel, rappelons qu’une société n’a de sens que si elle vise le bonheur de tous.

 

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