Entendons
par
" travail ",
l’effort
soutenu
et
délibéré
pour
produire
un
objet
(matériel,
intellectuel,
esthétique…)
jugé
par
soi
ou
reconnu
généralement
comme
utile
à
l’existence,
à
la
conservation,
au
bonheur
du
Tout
vivant
(j’emprunte
le
vocable
aux
saint-simoniens),
que
cet
effort
soit
rétribué
ou
non,
qu’il
s’accompagne
de
douleur
ou
de
plaisir.
Le
salariat
n’est
qu’une
forme
du
travail,
et
parfois
du
non-travail
(car
c’est
bien
connu,
beaucoup
sont
" payés
à
ne
rien
faire ".
On
les
trouve
aussi
bien
dans
les
replis
de
la
bureaucratie
que
sur
les
hauteurs
des
conseils
d'administration).
Cet
effort
peut
d’ores
et
déjà
être
notablement
réduit
par
des
évolutions
prévues
ou
demandées
depuis
le
XIXe
siècle
dans
les
écrits
précurseurs
desdits
socialistes
utopiques :
par
une
meilleure
organisation
du
travail
(travail
mieux
partagé,
plus
diversifié,
plus
conforme
aux
goûts
et
aux
dispositions
du
travailleur,
etc.),
par
la
mécanisation,
et
plus
récemment,
par
l’informatisation,
la
dématérialisation,
par
la
réduction
des
besoins…
Cet
effort,
naturel,
instinctif,
doit
être
aujourd'hui
repensé
dans
la
perspective
d’une
remise
en
cause
du
productivisme
et
du
progressisme
qui
l’intensifient
et
le
dévoient,
se
libérer
de
l’obsession
du
résultat
et
impérativement
être
incrémenté
à
l’équilibre
et
aux
intérêts
du
Tout
et
de
l’humanité
maintenant
que
nous
en
connaissons
mieux
les
contours.
Le
nécessaire
procès
implique
un
débat
sur
l’utilité :
convenons
premièrement,
que
la
vie
d’un
vivant
ne
se
réduit
pas,
à
l’échelle
humaine,
à
être
utile
aux
autres
(comme
le
petit
poisson
au
plus
gros
qui
le
mange
ou
l’abeille
à
sa
ruche).
La
vie
a
un
sens
en
elle-même
et
pour
elle-même.
Le
travail
n’en
est
pas
la
condition
(ce
que
les
fouriéristes
avaient
compris
en
réclamant
un
revenu
individuel
minimum
garanti).
Deuxièmement,
qu’il
est
hors
de
question
de
déléguer
à
des
experts
ou
des
dominants
la
responsabilité
de
définir
ce
qui
est
utile
et
dans
quelles
proportions.
Cette
estimation
doit
émaner
du
plus
grand
nombre
d’êtres
vivants
en
état
de
penser
et
de
s’exprimer
avec
le
souci
de
ceux
qui
n’en
ont
pas
la
capacité.
Le
Droit
à
la
paresse
que
fait
mine
de
brandir
Paul
Lafargue
dans
le
texte
éponyme
qui
n’en
finit
pas
d’être
moderne,
ne
prend
toute
sa
force
que
si
on
ne
l’isole
pas
de
son
contexte.
Il
n’est
en
effet
que
le
versus
du
Droit
au
travail
dans
lequel
la
révolution
de
1848
s’est
perdue
à
vouloir
en
faire
sa
priorité.
Pour
Lafargue,
cette
revendication
marque
le
retour
chez
les
travailleurs
de
la
moralité
bourgeoise
-
c'est
à
dire
non
pas
celle
que
la
classe
dominante
s’applique
mais
celle
qu’elle
inculque
aux
producteurs
pour
mieux
les
soumettre
et
les
tenir :
le
travail,
la
famille,
la
patrie,
la
bible.
Le
premier
socialisme,
auquel
le
gendre
de
Marx
se
rattache
(par
Proudhon),
justifie
un
ordre
social
qui,
d’une
part,
exclut
le
privilège
des
" frelons "
(Saint-Simon
visait
par
cette
expression
les
oisifs
aristocrates),
d’autre
part
garantit
l’épanouissement
des
facultés
de
chacun.
À
cet
effet,
les
socialistes
de
la
première
heure
demandaient
la
suppression
de
toutes
les
rentes,
de
ces
dispositifs
(charge,
héritage,
capital,
portefeuille…)
qui
dispensent
un
individu
de
chercher
à
se
rendre
utile
aux
autres
et
à
développer
ses
propres
facultés.
Ce
n’est
qu’à
la
longue,
et
après
s’être
mêlé
au
mouvement
ouvrier
naissant,
que
les
révolutionnaires
feront
du
travail
une
religion.
Pour
Lafargue,
c’est
une
sorte
d’apostasie.
Dans
le
(judéo-islamo-)christianisme,
le
travail
est
regardé
comme
une
peine
et
la
peine,
comme
nécessaire
au
salut.
La
paresse,
qui
se
définit
stricto
sensu
comme
non-travail,
prenant
la
place
que
tenait
l’acedia
dans
la
morale
du
Moyen
Age,
devient
un
péché
capital.
La
bourgeoisie,
après
avoir
subverti
cette
idéologie,
et
le
mythe
adamique
qui
en
est
la
clé
de
voûte,
la
restaure
une
fois
au
pouvoir
pour
son
plus
grand
profit.
Ce
retournement
ouvre,
ce
que
Lafargue
nomme
" l’âge
de
la
falsification "
(qui
est
aussi
celui
de
l’hypocrisie).
L’auteur
sulfureux
désigne
les
" phtisiques
Droits
de
l’homme "
comme
le
pivot
de
cette
falsification
et
les
" avocats
métaphysiciens
de
la
révolution
bourgeoise "
comme
ses
opérateurs.
Libre
à
chacun
d’y
reconnaître
les
Lévy,
Glucksmann
et
compagnie.
Libre
de
faire
le
parallèle
avec
l’après-mai
68
où
les
conquêtes
morales
(féministes,
antimilitaristes,
anti-autoritaires,
anticolonialistes,
antiracistes,
sexualistes,
égalitaristes,
etc.)
se
sont
vu
peu
à
peu
démonétisées
par
le
discours
lénifiant
des
Droits
de
l’homme
ou
celui,
plus
nerveux,
des
droits
de
Dieu,
à
tel
point
qu’aujourd'hui,
tout
semble
à
recommencer.
Nous
savons
l’aversion
de
l’actuel
président
pour
mai
68,
malgré
sa
dette
personnelle,
la
certitude
qu’il
n’aurait
jamais
accédé
à
la
tête
de
l’État
sans
cet
événement
fondateur.
La
simple
vue
de
la
plage
sous
les
pavés
lui
donnerait
la
nauséel.
Il
a
assez
clairement
annoncé
le
jeu
(façon
de
parler !) :
son
objectif
n’est
pas
de
(re)mettre
la
France
au
travail,
car
tous
ceux
de
sa
classe
entendent
continuer
de
musarder
et
il
n’y
a
pas
assez
de
travail
pour
les
autres.
C’est
d’inculquer
cette
idéologie
qui
diabolise
toute
réflexion
autonome
sur
le
sens
de
la
vie
et
sépare
celle-ci
de
l’utilité
définie
par
les
dominants,
qui
culpabilise
la
victime
du
non-travail,
qui
démoralise,
désarme
le
" droit
à
la
paresse ",
entendu
comme
le
droit
à
être
inutile
à
la
classe
dominante,
le
droit
de
refuser
l’espèce
de
domesticité
à
laquelle
elle
réduit
la
masse.
Si
une
révolution
est
à
venir,
elle
puisera
son
énergie
dans
la
volonté
ou
le
désir
des
" travailleurs "
de
retrouver
un
sens
à
leur
vie,
bien
au-delà
du
travail.
22
février
2007