POINT
DE
DEPART
-
POINT
SUR
LE
DEPART
Le
26
juin
1994,
en
fin
d'après-midi,
nous
nous
envolons
pour
Sâo
Paulo,
via
Amsterdam
et
Rio
de
Janeiro,
10
000
km
effectués
de
nuit,
dans
un
Boeing
747,
véritable
paquebot
volant
à
10
km
d'altitude
et
1000
km
à
l'heure,
vitesse
subjectivement
accélérée
par
le
fait
que
nous
voguons
à
contresens
de
la
rotation
terrestre.
L'avion
cabote
jusqu'à
Dakar
puis
franchit
l'océan
dans
sa
plus
courte
largeur
pour
atteindre
le
nouveau
monde
au-dessus
de
Natal.
*
En
1492,
il
avait
fallu
40
jours
à
Christophe
Colomb
pour
relier
Huelva
aux
Bahamas.
Ce
raccourcissement
des
distances
est
significatif
de
la
modernité.
Mais,
si
ne
subsistent
plus
au
XXème
siècle
de
terrae
incognitae,
si
on
ne
risque
plus
de
confondre
les
Amériques
avec
les
Indes,
ladite
modernité
n'est
pas
également
répartie
sur
terre.
Raccourcissant
elle
aussi
artificiellement
les
distances,
la
télévision
nous
met
au
contact
de
réalités
humaines
diverses
:
Occidentaux
au
grand
cœur
et
à
la
technique
sûre
aux
côtés
ou
au
chevet
de
tant
de
barbares
-
fanatiques
sur
l'autre
rive
de
la
Méditerranée,
mafieux
en
Russie,
cannibales
(ou
presque)
en
Afrique,
trafiquants
de
drogue
et
de
chair
humaine
en
Amérique
centrale
et
...
assassins
d'enfants
au
Brésil.
Le
Brésil
est-il
un
pays
sous-développé
?
Telle
était
la
question
à
l'épreuve
de
géographie
du
bac,
cette
année
à
Paris.
Même
si
on
prend
la
précaution
de
redresser
la
formulation
par
un
pudique
"en
voie
de
développement",
comme
on
dit
d'un
sourd
qu'il
est
mal-entendant,
la
réponse,
comme
le
mal,
n'en
sort
pas
diminuée
:
c'est
oui
sans
conteste
!
Comment
qualifier
autrement
une
nation
à
peine
relevée
de
20
ans
de
dictature
militaire,
qui
compte
parmi
ses
records
la
plus
forte
dette
extérieure,
la
plus
forte
inégalité
entre
les
citoyens,
le
plus
fort
taux
d'inflation,
une
des
plus
fortes
mortalités
infantiles...
où
enfin,
deux
Brésiliens
sur
trois
ne
mangent
pas
à
leur
faim
?
Et
puis,
à
ne
regarder
que
son
petit
écran
:
ces
larmes,
ces
transes,
ce
deuil
national
pour
un
pilote
de
formule
1
stupidement
sacrifié
sur
les
pistes...
C'est
de
l'idolâtrie
!
Aux
Temps
Modernes,
les
peuples
idolâtres,
on
pouvait
les
traduire
en
esclavage.
L'Eglise
n'y
voyait
aucun
inconvénient.
Colomb
et
les
Espagnols
ne
se
sont
pas
fait
prier.
Pas
moins
les
Portugais
auxquels
revint,
en
vertu
du
traité
de
Tordesillas,
la
terre
du
Pau
de
brasil.
Les
autochtones
ne
suffisant
pas
à
la
tâche,
c'est
par
millions
que
les
colons
importèrent
d'Afrique
la
noire
denrée.
Ils
ne
renoncèrent
officiellement
à
ce
sinistre
commerce
qu'en
1888,
au
seuil
de
notre
siècle.
Ce
passé
proche
empoisonne
le
lointain
présent
et
nourrit
un
mythe
inquiétant.
Je
m'attends
à
trouver
un
chaos
que
domine
la
violence.
Autour
de
moi,
les
uns
me
confortent
dans
cette
impression,
d'autres,
mieux
renseignés,
la
démentent.
Cependant
tous
s'entendent
à
me
mettre
en
garde.
Cette
impression,
ce
mythe,
cette
image
tissés
par
les
médias,
que
je
n'ai
pas
cherché
à
corriger,
faisant
en
la
matière
bon
accueil
à
mon
ignorance,
m'ont
fait
hésiter
à
décider
le
voyage.
J'admettais
difficilement
d'exposer
à
des
risques
mes
enfants.
Mais
sans
risques,
qu'entreprend-t-on
de
fort
?
Or
c'est
fort
que
de
réaliser
un
rêve
:
revoir
nos
amis
chez
eux
après
les
avoir
connus
chez
nous,
dans
un
petit
coin
de
Bretagne
abrité
des
laideurs
courantes.
*
En
1987,
après
avoir
habité
Rennes
durant
5
ans,
nous
nous
installions
à
la
campagne,
dans
les
bois,
retirés.
Un
jour,
une
inconnue,
élancée,
blonde,
accompagnée
d'un
petit
enfant
lui
aussi
blond,
s'arrête
devant
une
sculpture
que
j'avais
placée
à
l'entrée
de
notre
chemin.
Je
me
dirige
vers
elle
et
l'aborde.
Elle
se
dit
brésilienne.
Elle
vient
d'emménager
dans
la
maison
voisine.
Son
mari
termine
une
thèse
en
science
des
sols
pour
laquelle
il
a
reçu
des
gouvernements
brésilien
et
français,
une
bourse.
Ils
sont
là
pour
3
ans.
D'emblée
nous
sympathisons,
pour
ne
pas
dire,
nous
fraternisons.
Ce
sont
des
événements
qui
ne
s'expliquent
pas.
Le
lendemain,
je
rencontre
Attila,
grand,
cheveux
longs
et
barbe
blonds,
yeux
bleus,
revenant
de
la
gare
à
vélo.
Un
tel
prénom
!
Un
tel
faciès
!
Et
Luiza
sans
exubérance,
la
peau
blanche
et
le
regard
grave,
et
Andréas,
leur
fils,
sous
son
casque
d'or...
des
Brésiliens
?
Nous
avons
ainsi
vécu
3
ans
côte
à
côte,
coeur
à
coeur,
sans
trop
savoir
ce
qu'était
le
Brésil,
hors
la
caipirinha,
les
sucreries
à
la
noix
de
coco,
le
goût
de
la
fête,
une
apparente
désinvolture
et
la
saudade,
cette
nostalgie
du
pays
qui
parfois
s'emparait
de
nos
amis.
De
ce
pays,
ils
nous
parlaient
peu
en
effet
-
par
petites
touches
faites
pour
nous
désorienter.
Dans
leur
milieu,
chaque
famille
avait
sa
bonne,
nous
apprenaient-ils
;
de
retour,
ils
auraient
la
leur.
Dans
leur
quartier,
à
Sâo
Paulo,
un
vigile
gardait
chaque
rue.
Les
prix
des
marchandises
changeaient
chaque
jour
à
cause
de
l'inflation.
Les
fortunes
se
défaisaient
aussi
vite
qu'elles
s'édifiaient;
or
sans
fortune,
la
vie
se
montrait
âpre,
et
pour
faire
fortune,
il
fallait
se
lancer
dans
les
affaires...
En
fait,
Luiza
et
Attila
avaient
une
autre
patrie
sur
laquelle
ils
s'exprimaient
plus
volontiers
:
l'anthroposophie
-
un
système
d'idées
constitué
par
un
Autrichien
mort
en
1925,
continuateur
de
Goethe,
homme
assurément
génial,
Rudolf
Steiner.
Rejetant
les
matérialismes,
Steiner
s'offre
à
régler
les
rapports
de
l'homme
à
son
milieu,
du
corps
à
l'esprit
et
de
l'âme
au
cosmos.
A
tous
les
problèmes
de
la
religion,
de
l'art,
de
la
morale,
de
la
politique,
de
la
philosophie,
de
l'éducation,
de
la
médecine,
de
l'agriculture...
Steiner
propose
une
réponse
ou
son
amorce.
Souvent
dans
nos
discussions,
nous
nous
ententions
opposer
un
"Steiner
dit
que...".
C'était
à
prendre
ou
à
laisser.
Nous
restions
à
mi-chemin,
séduits
par
l'attitude
qui
consiste
à
soumettre
sa
vie
à
des
principes,
sa
pensée
à
une
philosophie.
Cette
attention
portée
à
l'invisible
et
à
la
spiritualité
qui
naguère
nous
aurait
indisposés,
maintenant
nous
interrogeait.
La
magie
des
lieux
que
nous
occupions
nous
gagnait.
Nous
n'étions
pas
loin
d'identifier
notre
rencontre
à
une
marque
du
destin.
Par
leurs
origines
sociales,
nationales
et
par
leurs
croyances,
Luiza
et
Attila
nous
étaient
a
priori
étrangers.
Mais
cette
altérité
excitait
notre
curiosité,
nous
rapprochait
les
uns
des
autres.
Nous
partagions
l'essentiel,
une
même
soif
de
savoir,
de
beauté
et
d'un
juste
bonheur.
Et
nous
partagions
le
quotidien
:
les
lieux,
les
saisons,
les
amis
dans
le
bourg,
la
vaisselle,
les
événements.
Nous
assistions
à
la
naissance
de
Matias
puis
à
celle
de
Joanna
dont
Luiza
accouchait
chez
elle.
Une
telle
amitié,
une
telle
complicité
devaient-elles
finir
un
jour
?
En
nous
quittant
à
l'automne
1992,
nous
nous
promettions
de
nous
revoir.
C'est
cette
promesse
que
nous
sommes
en
train
de
réaliser.
Tandis
que
nous
nous
approchons
de
l'aéroport
Guarulhos,
une
autre
crainte
s'ajoute
à
celles
que
j'ai
décrites
:
sans
le
privilège
du
cadre
humain
et
naturel
dans
lequel
nous
nous
sommes
connus,
l'amitié
gardera-t-elle
sa
force
?
Je
dois
à
la
vérité
de
dire
que
c'est
pour
elle,
et
pour
elle
seulement,
que
je
fais
le
voyage.
*
SAO
PAULO
-
le
27
juillet
1994
La
violence
du
choc
à
l'atterrissage
rappelle
à
quel
point
notre
embarcation
est
pesante
et
quel
défi
il
a
fallu
que
la
technique
relève
pour
la
maintenir
dans
les
airs.
Des
passagers
enthousiastes
applaudissent.
Tant
que
je
ne
serai
pas
en
mesure
de
me
déplacer
par
la
pensée,
tant
que
je
buterai
contre
les
limites
objectives,
je
regarderai
avec
intérêt
voire
reconnaissance
ce
qui
m'aide
à
franchir
ou
à
contourner
celles-ci.
Mais
par
mon
métier
d'emprunt,
je
me
trouve
à
la
pointe
avancée
de
la
technique,
les
mains
dans
les
entrailles
des
ordinateurs
et
la
tête
dans
leur
code.
Qu'il
me
soit
donné
au
moins
pour
quelques
semaines
d'échapper
à
leur
dictature.
Cette
révolte
m'a
conduit
à
ne
pas
m'équiper
d'appareil
photo.
Je
viens
au
Brésil
l'oeil
libre.
Je
n'ai
pour
seconder
ma
mémoire
qu'un
carnet
sur
lequel
j'écris
et
je
dessine.
Qu'on
m'excuse,
je
ne
suis
pas
moderne.
Par
le
hublot
m'apparaît
la
terre
nouvelle
:
elle
est
rouge
et
couverte
de
palmiers.
Dans
les
couloirs
de
l'aéroport,
un
garde
monte
la
faction
tous
les
cinquante
mètres.
Les
locaux
sont
propres,
confortables.
Aucun
attroupement,
aucune
attente.
Les
contrôles
sont
expédiés.
Rien
de
commun
avec
ce
que
réserve
l'Algérie
par
exemple.
On
reconnaît
d'emblée
un
pays
dit
sous-développé
aux
signes
d'incohérence
qu'il
donne.
Il
utilise
la
technique
sans
se
l'approprier.
Le
semblant
d'organisation
qui
règne
confère
un
pouvoir
dont
le
titulaire
abuse
ostensiblement.
Mais
l'organisation
s'avère
précaire,
aléatoire
pour
ne
pas
dire,
arbitraire.
A
Guarulhos,
tout
fonctionne.
En
quelques
minutes,
nous
accédons
au
débarcadère.
La
foule
massée
derrière
les
rambardes
nous
accueille
-
c'est
comme
si
tous
les
peuples
de
la
terre
s'étaient
donné
rendez-vous
devant
nous,
un
melting-pot
ahurissant.
Nous
y
cherchons
Luiza
ou
Attila.
En
vain.
Une
Paulistienne
rencontrée
dans
l'avion,
étudiante
en
lettres
à
la
Sorbonne,
se
porte
à
notre
secours.
Nos
hôtes
ont
sans
doute
été
retenus
dans
les
embouteillages.
Elle
m'aide
à
appeler
Sâo
Paulo.
N'obtenant
rien
de
la
personne
qui
lui
répond,
elle
conclut
:
"sûrement
la
bonne".
A
peine
ai-je
rejoint
Danielle
et
les
enfants
que
surgit
Attila.
Émouvantes
retrouvailles
!
C'est
lui,
c'est
bien
lui,
toujours
aussi
blond,
aussi
cordial.
Dehors,
il
fait
bleu.
Le
ciel
a
conservé
dans
son
haleine
le
froid
de
la
nuit.
C'est
l'hiver.
Nous
devons
nous
habituer
à
marcher
la
tête
en
bas,
à
inverser
Nord
et
Sud.
Au
Brésil,
le
Nord
est
chaud
et
misérable,
le
Sud
froid
et
riche.
Un
froid
très
relatif,
qui,
sous
le
Tropique
du
Capricorne,
n'empêche
pas
les
arbres
de
fleurir
ni
de
donner
des
fruits,
les
plagistes
de
la
côte
de
se
baigner,
un
froid
comme
la
France
en
connaît
au
printemps.
Dans
la
végétation
inconnue
qui
entoure
le
bâtiment
que
nous
quittons,
d'invisibles
oiseaux
fredonnent
des
chants
inouïs.
10 000
km,
un
océan
et
73
degrés
de
latitude
me
séparent
de
mon
point
de
départ.
Nous
filons
vers
Sâo
Paulo
dans
la
grosse
Chevrolet
que
les
parents
d'Attila
ont
mis
à
notre
disposition.
La
circulation
est
dense.
Le
pilote
s'y
faufile
adroitement.
Les
véhicules
que
nous
doublons
sont
souvent
poussifs
et
vétustes,
et
fort
peu
respectueux
du
code.
A
l'horizon
s'élève
une
brume
jaunâtre
-
un
nuage
permanent
de
pollution
nous
annonce
Attila.
Une
fois
immergés,
on
ne
le
voit
plus.
On
le
sent
seulement
-
une
odeur
tenace,
pas
franchement
désagréable,
une
odeur
d'alcool.
Effectivement,
un
véhicule
sur
trois
en
brûle.
Faute
de
champs
pétrolifères,
l'Etat
a
développé
cette
parade
pour
réduire
sa
dépendance
énergétique.
La
canne
fournit
le
sucre,
la
pinga
et
le
carburant.
Mais
les
récentes
découvertes
en
Amazonie
laissent
à
penser
que
le
pétrole,
cet
atout
qui
manquait,
va
bientôt
couler
à
flot.
Nous
longeons
le
Pinheiros,
le
fleuve
par
lequel
les
Jésuites
sont
remontés
pour
fonder
en
1555
Sâo
Paulo,
aujourd'hui
cloaque
immonde
bordé
de
champs
en
lambeaux
et
de
gourbis
isolés.
Puis,
très
rapidement,
le
tissu
urbain
se
resserre,
ne
permettant
plus
à
la
terre
d'affleurer.
Le
trafic
routier
s'intensifie.
La
rumeur
s'amplifie.
Nous
pénétrons
dans
la
mégapole,
au
cœur
d'une
turbulence
sans
fin.
Les
gratte-ciels
rivalisent
en
hauteur,
assiégés
par
des
maisons
de
bric
et
de
broc
ou
quelques
bâtisses
coloniales
fuligineuses.
Au
bord
de
la
route,
un
Carrefour
et
son
enseigne
bleu-blanc-rouge.
Sâo
Paulo,
comme
toutes
les
grandes
villes
du
pays,
en
compte
plusieurs.
Ils
ont
bonne
réputation.
Au
centre,
4
buildings
prêtent
leurs
flancs
à
la
publicité.
Malboro,
une
marque
de
slips
pour
homme,
une
marque
de
dessous
féminins,
Coca
Cola
enfin,
inévitable.
Partout
où
le
promoteur
n'a
pu
construire,
sur
le
sol
instable,
les
collines
nues,
les
terrains
à
l'abandon,
se
sont
entassés
les
taudis.
Ils
forment
les
favelas,
villages
de
la
misère
poussés
dans
les
interstices.
Le
centre
dépassé,
on
croirait
de
nouveau
le
centre
-
la
ville,
la
ville
toujours
recommencée
sur
laquelle
dérive
notre
regard
que
rien
d'agréable
ni
de
remarquable
n'accroche.
Nous
nous
éloignons
de
la
rodovia
et
grimpons
une
colline
par
des
rues
trouées
et
coupées
de
multiples
lombadas,
qu'on
appelle
aussi
"gendarmes
couchés",
ce
qui
impose
une
conduite
ralentie
en
zigzag.
La
verdure
réapparaît.
Des
arbres
masquent
les
murs
d'imposantes
propriétés.
C'est
Santo
Amaro,
un
quartier
fondé
par
les
Allemands,
réservé
à
la
gente
fina
-
la
classe
aisée
groupant
gens
des
arts
et
du
spectacle
et
hommes
d'affaires.
Cela
tient
du
prodige
de
trouver
au
sein
de
la
cité
tentaculaire,
fiévreuse
et
bruyante,
ce
havre
de
quiétude
où
l'air
fleure
bon.
A
chaque
angle
de
rue
se
dresse
une
guérite
occupée
par
un
gardien.
Payé
par
les
riverains,
secrétement
armé,
il
veille
24
heures
sur
24
à
leur
sécurité.
Outre
ces
vigiles,
les
plus
riches
emploient
à
domicile
un
ou
plusieurs
gardes.
Les
hauts
murs
d'enceinte
sont
hérissés
de
tessons
de
bouteille,
de
fils
barbelés
et
de
fils
électrifiés.
Aux
grilles,
les
molosses
montrent
les
crocs.
Cette
haute
surveillance
ne
semble
pas
suffire.
La
semaine
dernière,
des
bandits
ont
attaqué
une
villa
et
pris
en
otage
leurs
occupants.
La
prise
d'otage
assortie
d'une
demande
de
rançon
est
l'oeuvre
de
gangs
organisés.
N'était
la
présence
de
ces
sentinelles
pour
évoquer
le
danger,
le
quartier
inspire
la
tranquillité
et
la
douceur
de
vivre.
Luiza
et
Attila
habitent
une
maison
au
bout
d'une
impasse,
modeste
comparée
à
ses
voisines.
Elle
est
pourtant
spacieuse,
adossée
à
un
jardin
clos
d'arbres
exubérants
dont,
à
part
palmiers,
bananiers
et
avocatiers,
j'ignore
le
nom.
Des
massifs
d'azalées
et
de
camélias
l'égaient.
Dans
le
jardin,
il
y
a
une
piscine
et
dans
la
maison,
une
cheminée.
Le
soleil,
bien
que
fort
maintenant,
ne
pénètre
pas
les
murs.
Dedans,
on
gèle.
L'ameublement
est
de
style
anthroposophique:
prédominance
du
bois,
structures
légèrement
dissymétriques,
couleurs
de
l'arc-en-ciel,
présence
de
roches
et
de
blocs
de
cristaux;
au
mur,
une
reproduction
de
la
Madone
et
Saint
Sixte
de
Raphaël.
Univers
cohérent,
étudié
sinon
codifié,
dont
se
dégage
une
incontestable
idée
d'harmonie.
Mais
échappant
au
code
anthroposophique,
un
poste
de
télévision
dans
la
chambre
des
parents.
A
Bourg-des-Comptes,
il
n'était
pas
question
d'introduire
cet
objet
perfide
dans
nos
foyers,
nous
étions,
les
uns
et
les
autres,
formels
sur
la
question.
Seule
entorse
:
cédant
à
sa
passion
du
foot-ball,
Attila
avait
loué
un
téléviseur
durant
la
coupe
du
monde
de
1990.
Aujourd'hui,
sous
la
pression
des
enfants,
l'engin
a
conquis
droit
de
cité.
Mais
une
clé
en
verrouille
l'usage.
[...]
Elisabeth,
qu'on
appelle
Betchi,
la
bonne,
prépare
en
silence
le
repas.
Elle
est
le
pivot
du
foyer.
Luiza
est
absorbée
par
son
activité
professionnelle;
Attila
s'absente
trois
jours
par
semaine.
Betchi
s'occupe
du
ménage
et
des
enfants,
tâche
lourde
dont
elle
s'acquitte
de
l'aube
au
crépuscule
avec
une
parfaite
discrétion.
Elle
loge
près
de
la
cuisine,
dans
une
pièce
minuscule
garnie
d'un
lit
gigogne
et
d'une
commode.
Pour
se
distraire,
elle
dispose
d'une
télé
de
poche
et
pour
se
laver,
d'une
salle
de
bain
attenante.
Betchi
a
28
ans.
En
fin
de
semaine,
elle
rejoint
sa
famille
aux
portes
de
Sâo
Paulo.
Comme
beaucoup,
ils
ont
fuit
le
Nordeste
et
survivent
grâce
à
des
expédients
et
de
petits
métiers.
Nous
avons
pris
le
parti
d'ignorer
la
question
morale
que
nous
pose
l'emploi
d'une
bonne.
Au
Brésil,
il
est
général.
On
prétend
même
que
certaines
bonnes
ont
leur
bonne.
On
prétend
aussi
que
tout
le
monde
y
trouve
son
compte
-
le
patron
en
sauvant
de
la
misère
son
prochain,
l'employé
en
trouvant
cette
besogne
qu'il
n'estime
pas
basse.
Betchi
est
à
la
fois
le
pivot
et
l'ombre
de
la
maison;
elle
nous
soulage
des
tâches
fastidieuses
et
des
soucis
futiles.
Bon,
soit
!
A
autre
pays,
autres
moeurs.
Il
y
a
un
siècle,
les
maîtres
possédaient
des
esclaves.
Désormais,
ce
sont
des
domestiques.
Ils
sont
libres
de
partir
et
de
crever
de
faim.
Ceux
qui
louent
leurs
services
n'ont
nullement
le
sentiment
d'agir
mal.
S'il
y
a
mal,
il
faut
le
rechercher
ailleurs,
aux
sources
de
l'inégalité.
Il
faut
le
reconnaître
:
manger
sans
avoir
à
préparer
le
repas,
dresser
la
table,
la
débarrasser,
laver
la
vaisselle;
s'habiller
sans
avoir
à
laver
ni
repasser
son
linge;
occuper
des
lieux
sans
avoir
à
les
ranger
ni
à
les
nettoyer...
c'est
bien
pratique,
bien
agréable.
Si
ce
plaisir
est
donné
comme
honnête,
au
nom
de
quoi
le
refuser ?
Je
m'interdis
de
juger.
Je
prends
mes
amis
comme
ils
viennent.
Naguère,
je
pouvais
ne
pas
me
satisfaire
de
leurs
contradictions
et
à
l'occasion,
les
signaler.
Luiza
et
Attila
étaient
en
projet,
en
devenir,
en
escale.
Je
connaissais
le
contexte
dans
lequel
ils
évoluaient
et
jugeais
selon
mes
propres
références.
Ici,
je
ne
connais
rien.
J'ai
tout
à
apprendre.
*
[...]
Un
mois
avant
le
départ,
j'ai
assimilé
à
la
va-vite
des
rudiments
de
portugais.
S'ils
m'aident
à
déchiffrer
le
sens
de
certaines
phrases
et
à
prendre
des
repères
dans
la
conservation
ou
la
rue,
ils
ne
délient
pas
ma
langue.
Quand
j'ose
un
mot,
Joanna
et
Mathias
me
regardent
avec
des
yeux
ronds
d'étonnement.
Cet
apprentissage
de
dernière
minute
a
été
ma
seule
contribution
à
la
préparation
du
voyage.
Pour
m'initier
au
pays,
je
me
suis
contenté
en
tout
et
pour
tout
de
trois
lectures
:
Suor
de
Jorge
Amado,
le
Brésil
de
Denis
et
Alain
Ruellan
(Denis
est
membre
fondateur
du
CRIDEV,
une
ONG
rennaise
au
sein
de
laquelle
j'ai
milité,
et
Alain,
le
directeur
de
thèse
d'Attila),
enfin
le
Sucre
et
la
Faim
de
Robert
Linhart,
ouvrages
où
se
melangent
à
propos
du
Brésil
amour
et
haine,
attirance
et
répulsion.
Je
l'ai
dit,
mes
motivations
ne
sont
pas
d'ordre
touristique
ni
ethnographique.
Je
viens
ici
retrouver
des
amis
et
visiter
en
leur
compagnie
un
pays
si
vaste
et
si
contrasté
que
peu
de
Brésiliens
peuvent
se
targuer
de
le
connaître.
Dans
une
certaine
mesure,
nous
le
découvrirons
ensemble.
La
semaine
prochaine,
les
vacances
d'hiver
débutent
(les
grandes
sont
en
janvier).
Aussitôt,
nous
nous
envolons
pour
Salvador
de
Bahia,
la
capitale
historique,
puis
Récife,
la
grande
ville
du
Nordeste.
Après,
c'est
le
Pantanal,
une
des
plus
grandes
et
plus
riches
réserves
naturelles
au
monde.
Seuls,
nous
visiterons
les
célèbres
chutes
d'Iguaçu.
Nous
terminons
le
périple
à
Sâo
Paulo.
Vols
et
hébergements
sont
réservés.
[...]
L'après-midi,
Attila
nous
emmène
en
ville
changer
nos
travellers.
En
route,
il
achète
un
journal
pour
connaître
le
cours.
Les
journaux
brésiliens
sont
à
l'image
de
l'économie
:
inflationnistes,
5
ou
6
journaux
en
un,
l'un
d'entre
eux
consacré
au
cours
des
marchandises,
un
autre,
bien
entendu,
à
la
coupe,
moult
photos
à
l'appui.
Jornal
do
Brasil
et
O
Globo
sont
les
plus
lus.
Les
banques
pululent,
publiques
comme
Unibanco
ou
privées.
Dans
les
premières,
le
décor
est
fruste
et
le
personnel
lent
(à
petite
paye,
petite
cadence).
Les
établissements
privés
sont
luxueux.
Les
Brésiliens
s'y
rendent
souvent
-
pour
percevoir
leur
salaire,
pour
acquitter
leurs
nombreuses
traites,
pour
consulter
leur
solde,
pour
mettre
leur
argent
en
sécurité...
Contre
nos
dollars,
l'employé
nous
cède
une
quantité
impressionnante
de
billets
bardés
de
zéros.
A
certains,
il
faut
en
retirer
3,
car
il
y
a
les
cruzeiros
"réels"
et
les
autres,
système
compliqué
que
nous
renonçons
à
comprendre.
Le
parking
est
gardé.
A
l'intérieur,
deux
vigiles
armés
jusqu'aux
dents
guettent
derrière
un
paravent
blindé.
En
1989,
l'inflation
atteignait
plus
de
1700%.
Un
économiste,
par
un
coup
de
baguette
magique
appelé
plan
Réal,
entend
guérir
le
pays
de
cette
maladie.
Ce
plan
entrera
en
vigueur
samedi
prochain.
Il
s'appuie
sur
une
nouvelle
monnaie
-
le
Réal
(qui
vaudra
un
dollar
le
jour
de
son
apparition)
assortie
d'un
contrôle
strict
des
prix
et
des
salaires.
Son
auteur,
J.
Henrique
Cardioso,
se
présente
aux
prochaines
élections
présidentielles.
Personnage
de
gauche
rallié
à
la
droite,
il
est
l'opposant
le
plus
crédible
à
Lula,
le
dirigeant
du
Parti
des
Travailleurs,
que
les
sondages
actuels
donnent
vainqueur.
La
coupe,
le
plan,
la
campagne
électorale
qui
vient
de
commencer,
mobilisent
l'actualité,
les
esprits
et
les
coeurs.
Nous
vivrons
à
leur
rythme
trépidant.
Les
rues
sont
larges,
propres,
cahoteuses
et
populeuses.
Les
feux
tricolores
sont
placés
de
l'autre
côté
de
la
voie
à
laquelle
il
faut
s'arrêter
quand
ils
passent
au
rouge.
Mais
pourquoi
s'arrêter
par
principe
?
Si
la
voie
est
libre,
l'automobiliste
continue.
Il
ne
risque
ni
l'amende
(la
police
est
inexistante),
ni
la
réprobation
de
ses
semblables.
L'allure
est
nerveuse
mais
pas
rapide.
L'état
de
la
chaussée
ne
le
permet
pas.
Nulle
part
le
piéton
n'est
protégé.
Les
véhicules
en
majorité
sont
fatigués;
ils
grincent
et
cliquètent.
Ceux
sont
le
plus
souvent
des
Volgswagen
et
des
Ford
à
deux
portes
fabriqués
dans
les
usines
de
la
banlieue.
Leur
entretien
coûte
cher.
Les
pièces
de
rechange
sont
hors
de
prix.
S'ils
sont
assurés,
c'est
au
minimum,
contre
le
vol.
Les
assurances
elles
aussi
sont
ruineuses.
En
cas
de
panne
ou
de
casse,
il
faut
se
débrouiller
-
le
jeito,
la
"démerde",
est
un
trait
de
la
personnalité
brésilienne.
Pourtant
la
voiture
est
indispensable
tant
sont
grandes
les
distances
à
parcourir.
Il
y
a
bien
un
métro,
mais
il
ne
compte
que
deux
lignes.
Cette
deuxième
traversée
de
la
ville
me
conforte
dans
mon
impression
:
l'urbanisme
y
est
épisodique.
Habitats
et
habitants
se
mélangent
sans
ordre
apparent.
Les
monuments
sont
rares.
On
ne
perçoit
pas
l'empreinte
de
l'histoire
mais
plutôt
la
poussée
d'un
constant
mouvement
d'expansion.
Les
chantiers
sont
nombreux.
[...]
SAO
PAULO,
le
28
juin
1994
[...]
La
nation
brésilienne
est
jeune
d'un
peu
plus
d'un
siècle.
Elle
n'a
pas
connu
d'épisodes
aussi
marquants
et
fondateurs
que
guerre
d'indépendance,
guerre
de
sécession
ou
révolution.
Dans
le
domaine
des
arts
et
de
la
littérature,
de
la
politique,
elle
n'a
acquis
sa
maturité
que
dans
les
années
20.
C'est
une
nation
qui
s'est
formée,
non
dans
l'opposition
et
la
discrimination,
mais
au
contraire
dans
l'assimilation
et
le
mélange,
autour
de
deux
pôles,
le
nord
agricole
et
le
sud
industriel,
tous
les
deux
flanqués
d'un
"désert"
grand
comme
la
moitié
du
pays
:
l'Amazonie.
Le
Brésilien,
de
souche
ancienne
ou
récente,
sait
ce
qu'il
doit
aux
Portugais,
à
l'Afrique,
aux
Indiens,
aux
missionnaires,
aux
Américains...
et
à
lui-même.
Il
emprunte
sans
scrupule,
sans
formalisme.
L'ant
convient
à
Luiza
et
Attila.
Elle
les
aide
à
trouver
leur
place
parmi
leurs
semblables.
Elle
les
associe
à
un
réseau
de
gens
dévoués
et
dynamiques,
que
caractérise
un
grand
respect
de
la
nature
et
de
l'humain.
Luiza
a
une
clientèle
qu'elle
recevait
chez
elle,
dans
le
cabinet
où
nous
avons
emménagé,
qu'elle
reçoit
maintenant
à
la
clinique
Tobias,
proche.
Elle
soigne
également
les
enfants
de
deux
favelas.
La
clinique,
les
favelas
en
question
sont
gérées
par
les
anthroposophes,
ainsi
que
l'école
où
vont
Andréas
et
Mathias,
bientôt
Joanna.
Nous
les
visiterons.
Ce
matin,
nous
l'accompagnons
à
Peinha.
Un
quart
de
la
population
de
sp
habitent
les
favelas.
Il
y
en
a
plus
de
1200.
Elles
occupent
70%
de
l'espace
urbain.
Les
autorités,
après
leur
avoir
fait
la
guerre,
les
tolèrent.
Peinha,
comme
Monte
Azul
sa
voisine
que
nous
découvrons
à
la
suite,
ou
encore
Horizonte
Azul,
distante
de
15
km,
sont
administrées
par
une
association
fondée
par
les
anthroposophes.
Dans
tous
les
bidonvilles,
des
associations
viennent
au
secours
des
démunis,
aidées
par
diverses
institutions
(ambassades,
UNESCO,
Rotary
Club),
par
l'église
et
parfois
la
préfecture.
Pour
certaines,
comme
la
communauté
israëlite,
c'est
l'occasion
d'inciter
leurs
professeurs,
avocats
et
médecins
à
y
faire
leurs
premières
armes
en
se
frottant
à
la
réalité.
Ses
représentantes
nous
l'exposent
alors
que
nous
nous
engageons
dans
le
dédale
des
ruelles.
Elles
sont
bien
habillées
et
finement
maquillées.
Parlant
français,
elles
nous
traduisent
les
explications
du
guide
auquel
nous
a
confiés
Luiza.
Tous
les
mardis
matin,
l'association
communautaire
Monte
Azul
organise
une
visite
pour
exposer
son
travail
et
se
gagner
des
sympathies.
"Ici,
c'est
le
grand
luxe
!"
s'exclament-elles
en
allant
de
surprise
en
surprise.
Elles
sont
habituées
à
plus
de
violence,
plus
de
saleté
et
plus
d'indifférence.
Là
où
vivent
400
familles,
à
part
le
ruisseau
qui
fait
office
de
grand
collecteur,
tout
sent
bon.
Pas
de
cris.
Pas
d'oisifs.
Pas
de
troupe
d'enfants
en
guenilles.
Une
favela
modèle.
C'est
un
village
tranquille
accroché
au
flanc
de
la
colline,
où
se
serrent
des
bicoques
de
bois,
de
tôles
ou
de
briques,
quelques-unes
entourées
de
jardinets.
L'association
qui
peut
légitimement
s'attribuer
ce
succès
invoquera
les
justesse
des
principes
steinériens.
Elle
a
pour
elle
la
durée.
Fondé
en
janvier
1979
par
une
pédagogue
qui
vivait
à
proximité
de
la
favela,
le
projet,
réduit
à
l'origine
à
une
petite
école,
obtint
l'aval
de
la
préfecture
et
le
soutien
financier
d'organismes
suisses
et
allemands.
Peu
à
peu,
le
projet
s'étendit
à
tous
les
aspects
de
la
vie
sociale.
Il
se
dota
d'une
organisation
stable
(un
comité
directeur
réuni
une
fois
par
semaine)
et
s'appuya
moins
sur
des
volontaires
que
sur
des
"fonctionnaires"
payés
par
la
communauté.
Aujourd'hui
Monte
Azul
(Mont
Bleu)
rétribue
109
personnes,
favelados
ou
extérieurs.
Ce
sont
elles
qui
assurent
le
fonctionnement
de
la
crêche
Cosme
e
Damîa,
du
jardin
d'enfants
Vamos
Brincar,
de
l'école,
de
la
cantine,
de
l'école
complémentaire,
du
centre
de
soins
où
consulte
Luiza,
de
l'atelier
de
tissage
pour
adolescents
déficients,
de
papier
recyclé,
de
menuiserie,
du
centre
de
tri
des
ordures
ménagères,
de
la
boulangerie,
du
centre
culturel,
de
la
bibliothèque.
L'ensemble
de
ces
activités
est
encore
déficitaire.
Mais
l'objectif
reste
à
terme
l'autofinancement.
Les
"fonctionnaires"
passent
une
période
d'essai
de
3
mois
au
bout
de
laquelle
leur
embauche
est
entérinée
et
leur
salaire
doublé
s'ils
font
l'affaire.
Ils
suivent
un
cycle
de
formation
continu.
A
ces
postes,
les
candidats
se
bousculent.
Un
examen
d'aptitude
les
départage.
En
dernier
ressort,
le
comité
directeur
statue.
A
la
crêche,
à
l'école,
on
applique
les
principes
de
la
pédagogie
Waldorf.
A
la
cantine,
on
mange
les
produits
de
la
ferme
agrobiodynamique
de
Botucatu.
A
l'atelier
de
papier
recyclé,
on
confectionne
des
agendas
émaillés
de
maximes
anthroposophiques.
A
la
menuiserie,
on
fabrique
des
meubles
de
style
anthroposophique
(c'est
là
que
se
fournissent
Luiza
et
Attila).
A
la
boulangerie,
on
cuit
du
pain
complet.
A
la
bibliothèque
trône
le
portrait
de
Rudolf
Steiner
jeune
et
au
centre
de
soins,
la
Madone
et
Saint
Sixte
de
Raphaël.
Favela
sur
fond
d'
anthroposophie
ou
anthroposophie
sur
fond
de
favela
?
Luiza
d'un
mot
tranche
:
"la
différence
entre
Monte
Azul
et
les
autres
associations
caritatives,
c'est
que
nous,
nous
voulons
le
paradis
tout
de
suite".
Pour
juger
si
l'ant
n'est
pas
réservée
à
une
élite
de
bonne
volonté,
si
elle
inaugure
un
modèle
de
société
réellement
universel
et
peut
représenter
une
alternative
crédible
à
la
misère,
à
l'injustice,
à
l'ignorance
et
à
la
violence,
il
faut
attendre
quelques
années,
le
temps
qu'arrivent
à
l'âge
adulte
les
enfants
de
la
favela
qui
ont
grandi
sous
son
aile.
Quelle
sorte
de
Brésiliens
seront-ils
?
Un
détail
me
trouble.
Je
lis
qu'il
y
a
encore,
outre
les
équipements
communautaires
où
nous
avons
été
reçus
avec
bienveillance
dans
des
locaux
propres
et
gais,
un
groupe
de
théâtre,
un
comité
d'habitants,
un
groupe
de
femmes,
une
coopérative,
un
planning
familial
et
une
assistance
juridique,
des
cours
du
soir,
potagers
et
vergers...
De
la
vie,
tous
les
moments
sont
pris
en
compte,
sauf
la
vieillesse.
Ce
que
nous
nommons
le
troisième
âge
ne
fait
l'objet
d'aucune
collectivisation.
Pourquoi
?
Deux
fois
par
an,
la
favela
se
réunit
en
une
AG-fête
baptisée
"Dia
da
Alegria"
-
jour
de
joie.
Nous
rapportons
de
cette
excursion
une
image
toute
nouvelle.
Elle
est
sans
doute
surperficielle
puisque
nous
ne
pouvons
pas
la
confronter
à
d'autres,
comparer
les
résultats,
sonder
l'opinion
des
favelados.
Mais
cette
image
suscite
l'espoir.
En
France,
la
misère
est
à
la
fois
officiellement
assistée
et
honteuse.
Elle
se
concentre
dans
des
cités-dépotoirs
sans
âme.
Au
Brésil,
la
favela
surgit
spontanément,
se
donne
un
nom
et
une
organisation.
Elle
s'assume,
se
prête
à
des
expériences
novatrices.
Une
rue
sépare
les
résidences
de
Monte
Azul,
le
corps
du
chancre,
le
quartier
en
dur
de
cet
amoncellement
bancal.
Au-delà
de
cette
rue
s'étendait
autrefois
un
flanc
de
colline
en
friches.
Une
famille
s'y
installe,
puis
une
autre
et
d'autres
encore.
Elles
construisent
nuitamment
des
cabanes
en
bois.
Si
le
propriétaire
les
expulse,
les
squatters
perdront
la
place
mais
pas
les
planches.
Le
propriétaire
ne
se
manifeste
pas.
Alors
on
remplace
le
bois
par
la
brique,
les
tôles
par
des
tuiles.
D'autres
familles
s'agglutinent.
Des
ruelles
se
dessinent.
Les
habitants
finissent
par
obtenir
l'eau
et
l'électricité.
Ils
creusent
des
égouts
de
fortune.
Au
bout
de
5
ans,
par
un
droit
tacite,
ils
deviennent
propriétaires
de
leur
gourbi.
Ils
pourront
le
vendre
à
de
nouveaux
candidats.
Ils
sont
nombreux.
Monte
Azul,
c'est
haut
standing.
Chaque
foyer
y
a
la
télévision.
Beaucoup
possèdent
une
voiture
qu'ils
garent
à
la
périphérie.
Favela
haut
de
gamme
ici,
au
Sud.
Mais
ailleurs,
là
où
ne
pénètrent
pas
l'église,
le
syndicat,
les
associations,
ni
même
la
police,
comment
c'est
?
Est-il
même
permis
d'en
juger
?
De
retour
à
la
maison,
je
parcours
le
journal
du
Comité
Fédéral
Médical,
une
des
trois
entitades
auxquelles
adhèrent
les
médecins
pour
défendre
leurs
intérêts.
Il
titre
"la
crise
dans
la
santé".
Les
médecins
se
plaignent
de
percevoir
des
honoraires
en
constante
baisse.
Au
Brésil,
il
n'y
a
pratiquement
pas
de
médecine
rurale,
faute
d'infrastrutures.
Les
médecins
se
multiplient
dans
les
villes.
Leur
surnombre,
ajouté
aux
déficiences
du
système
de
santé
publique,
les
place
en
position
délicate
pour
négocier
leur
rémunération.
Ils
sont
de
plus
en
plus
fréquemment
payés
à
la
demi-journée
et
non
plus
à
l'acte.
ll
m'expose
les
principes
de
la
santé
publique.
Les
soins
gratuits
sont
dispensés
par
des
hôpitaux
publics
en
nombre
insuffisant
et
sous-équipés.
Quand
un
favelado
tombe
malade
par
exemple,
on
le
transporte
à
l'hôpital
le
plus
proche.
Là,
il
fait
la
queue.
Si
la
queue
est
trop
importante,
on
le
transporte
dans
un
autre
établissement.
Si
son
état
nécessite
une
hospitalisation,
il
faudra
lui
trouver
un
lit,
dans
une
salle
ou
à
défaut,
dans
un
couloir.
Un
simple
matelas
à
même
le
sol
sera
souvent
son
lot.
En
revanche,
si
le
malade
a
cotisé
à
une
assurance-maladie,
il
aura
accès
à
un
hôpital
privé
qui
lui
proposera,
selon
le
niveau
de
couverture
qu'il
aura
choisi,
chambre
individuelle,
matériel
ultra-moderne
et
grands
noms
de
la
médecine.
L'assurance
est
vendue
par
des
compagnies
(aucune
n'assure
contre
le
cancer
et
le
sida).
Elle
représente
pour
une
famille
une
dépense
exorbitante.
Luiza
ne
peut
se
l'offrir.
Les
compagnies
sont
toutes
puissantes.
Elles
alimentent
les
campagnes
publicitaires
les
plus
spectaculaires.
Autre
empire,
celui
des
multinationales
pharmaceutiques.
Elles
prennent
en
charge
les
études
des
futurs
médecins
pour
se
les
attacher.
L'après-midi,
nous
accompagnons
notre
amie
à
la
clinique
Tobias.
Avec
la
crise,
sa
clientèle
s'est
réduite.
La
clinique
bat
de
l'aile.
Elle
va
redéployer
ses
activités,
ouvrir
bientôt
une
maternité.
A
la
clinique
est
liée
une
institution
d'accueil
d'enfants
handicapés
mentaux
où
Luiza
exerce
également.
Certains
de
ces
enfants
bénéficient
d'une
bourse.
Mais,
en
règle
générale,
les
clients
appartiennent
aux
milieux
aisés.
Ainsi
notre
amie
se
partage-t-elle,
avec
une
égale
motivation,
entre
riches
et
pauvres.
Ce
dévouement
à
une
humanité
victime
-
de
la
misère
ou
de
la
nature
-
est
digne
d'admiration.
Ce
n'est
pourtant
pas
un
sacerdoce.
Luiza
le
professe
sans
notion
de
charité.
Elle
est
payée.
Son
métier
est
de
soigner
sans
distinction.
A
17
heures
a
lieu
le
match
Brésil-Suède.
Il
est
annoncé
par
une
pétarade
dont
retentit
la
ville
sur
laquelle
se
couche
le
soleil.
Devant
le
poste
de
télévision,
nous
sommes
attroupés,
enfants
et
adultes.
Impossible
de
rester
insensibles.
Spontanément,
nous
épousons
le
parti
de
l'équipe
brésilienne
et
vibrons
à
l'unisson.
Pourtant,
elle
joue
mal.
N'ayant
pas
besoin
d'une
victoire
pour
se
qualifier,
l'équipe
aux
couleurs
jaune
et
vert
semble
ménager
ses
efforts.
Attila
peste.
Le
résultat
-
1
à
1
-
déclenche
de
nouveau
un
concert
de
klaxons
et
d'explosions
qui
se
prolonge
une
heure
durant.
On
croirait
que
la
guerre
vient
d'éclater.