UNE


LE MYSTERE DE L'INCARNATION

L'"ECONOMIE" EN DEBAT
A TRAVERS LES PREMIERS CONCILES

 

Arius, prêtre libyen qui officie à Baucalis, port d'Alexandrie, déclenche en 318, en pleine église, une dispute qui vaudra à l'Histoire son premier concile, convoqué par l'empereur Constantin à Nicée, en Bithynie, en novembre 325, où furent conviés les évêques de "toute la terre habitée".

Arius prétend que, si les hommes sont une création de Dieu, Jésus Christ en est une autre lui aussi, mais plus parfaite, car exempte du péché. Il s'appuie sur les textes : les Proverbes (8.22) où Jésus Christ affirme "le Seigneur m'a créé (comme principe de ses chemins) et les Actes (2.36) : "Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié".

Pour Arius, le Verbe - Fils de Dieu - ne peut être que postérieur au Père, sa créature sortie du néant et, en tant que tel, différent de Lui, ne participant pas de son essence. C'est pourquoi Jésus Christ connaît l'altération, la souffrance et la mort. Saint entre les Saints, il demeure une œuvre de Dieu.

Dans leur profession de foi de 320, le prêtre et ses compagnons soutiennent : "Dieu, qui est justement la cause de tous les êtres, est absolument seul à être sans principe. Le Fils... n'est ni éternel ni coéternel. Dieu est son principe. Il lui est supérieur." Dans la Thalie, ils rappellent :

"Dieu ne fut pas toujours Père. Toutes choses ont été faites du néant. Le Verbe de Dieu commença lui aussi d'être créé... Le Christ n'est pas la vraie puissance de Dieu mais une parmi celles qu'on dit puissances... Dieu prévoyant que le Verbe serait bon, lui a donné par avance cette gloire, qu'en tant qu'homme, il conquit ensuite par sa vertu... Le Père est invisible pour le Fils."

Alexandre, évêque d'Alexandrie, qui combat les thèses de l'arianisme, oppose que si le Père avait existé seul au commencement, il eût été "une lumière sans rayonnement", un modèle sans image. Mentionnant à son tour les Écritures, il tient Jésus Christ pour "engendré" et non "créé" et, bien qu'engendré à la différence du Père, le Fils n'en est pas moins l'image absolument parfaite et "comme son miroir".

"Comment serait-il en sa substance dissemblable du Père, lui qui est l'image parfaite et la splendeur du Père et qui dit "qui me voit voit le Père" ?"

Le concile se conclut par l'anathémisation d'Arius et de ses partisans. Il est l'occasion d'édicter une "nouvelle loi de la foi". Quiconque la professe est orthodoxe. Quiconque la rejette est hérétique. Le Symbole de Nicée inaugure une tradition écrite qui, donnée pour aussi indubitable que les Écritures, puise dans le langage philosophique son ressort et sa matière. Il est principalement l'œuvre de l'Église d'Orient et sanctionne la lutte qui dresse les provinces du Bosphore (Pont et Thrace) contre l'Égypte, la compétition que Constantinople et Alexandrie se livrent.

L'arianisme ne désarme pas pour autant et la contestation, à l'instigation de Macédonius, s'étend maintenant à la nature de l'Esprit Saint.

Les pneumatomaques refusent à l'Esprit Saint la dignité du Fils. Pour eux, ce n'est qu'un interprète, à l'instar d'un ange.

Saint Basile mène le combat. Il écrit "de même que nous affirmons l'adoration dans le Fils comme dans une image de Dieu le Père, de même aussi nous l'affirmons dans l'Esprit, comme celui qui manifeste en lui-même la Divinité du Seigneur. C'est pourquoi dans l'adoration, l'Esprit Saint est inséparable du Père et du Fils. Car si tu es hors de lui, tu ne l'adoreras pas du tout ; au contraire, si tu es en lui, tu ne le sépareras aucunement de Dieu pas plus que tu ne sépares les choses que tu vois de la lumière, car il est impossible de voir l'image du Dieu visible sinon dans la lumière de l'Esprit".

L'évêque de Césarée, dans son traité de 375, voit l'Esprit Saint présent partout, tout entier à chaque être, "impassiblement". Mais la chair lui fait obstacle, qui nourrit les passions et sépare l'âme de l'intimité de Dieu. Aussi faut-il se purifier. Alors le Paraclet "comme un soleil s'emparant d'un œil très pur, se montrera en lui-même l'image de l'invisible ; dans la bienheureuse contemplation de l'image, tu verras l'ineffable beauté de l'Archétype".

Basile prolonge la tradition trinitaire. En une seule nature s'affirment trois hypostases : le Père, le Fils et le Saint Esprit. Le concile qui se tient à Constantinople promue capitale de l'Empire en juillet 381, à l'instigation de Théodose, lui donne raison. Le symbole est reprécisé.

Mais la question du mystère de l'incarnation, ce que l'Église nomme l'économie, au centre de la polémique, reste pendante. En se faisant chair pour apparaître aux hommes, Dieu a-t-il seulement emprunter des formes connues ou a-t-il réellement été un homme, jailli du ventre d'une femme ?

Athanase répond sans détours en 362. "Ce n'est pas un corps sans âme, sans sentiment, sans intelligence qu'a eu le Sauveur. Ce n'est pas le corps seul, mais l'âme aussi qui a été sauvée dans le Verbe. Le Verbe ne s'est pas seulement fait chair. Il s'est fait homme."

Nestorius, le patriarche de Constantinople, épigone de l'école d'Antioche, s'insurge. "Dieu a été uni à la chair crucifiée mais il n'a pas souffert avec elle". Il s'interdit de confondre ou de mélanger l'humanité souffrante, périssable, altérable et la divinité impassible, immuable et éternelle. "Je sépare les natures mais j'unis l'adoration. Confessons qu'il est double, invite-t-il, et adorons-le comme un".

Quand Proclus soutient "nous ne prêchons pas un homme divinisé mais un Dieu fait chair", Nestorius réplique : "je ne peux adorer un Dieu qui est né, qui est mort et a été enseveli". Il n'admet pas que le Dieu Verbe ait pu "par appropriation, être allaité, qu'il a grandi, et qu'au moment de la passion, il a eu peur et qu'il a eu besoin du secours d'un ange."" Et je passe sous silence, ajoute-t-il, la circoncision, le sacrifice, la sueur et la faim."

Cyrille, patriarche d'Alexandrie au moment de la dispute, s'élève contre l'opinion de Nestorius. Il répond à son rival en 430 : "c'est le même, le Verbe, Fils unique de Dieu, qui pour notre salut est descendu, s'est abaissé jusqu'à l'anéantissement, s'est incarné et s'est fait homme, c'est-à-dire que, prenant une chair de la Sainte Vierge et la faisant sienne, il a été comme nous engendré du sein maternel. C'était pour bénir le principe même de notre existence et, s'étant uni à la chair et ayant ainsi été enfanté par une femme, il ferait cesser désormais la malédiction portée contre tout le genre humain, qui envoyait à la mort nos corps nés de la terre".

Pour les départager, Théodose II convoque à Ephèse, le 7 juin 431, un troisième concile. Au terme d'une violente polémique, émaillée de bagarres, Nestorius est déposé. Plutôt qu'un nouveau Symbole, les évêques se contentent d'un rappel. Il est dit que la nature du Verbe n'a subi aucun changement pour devenir chair. Le Verbe s'est uni selon l'hypostase à une chair animé d'une âme. Il s'est appelé fils de l'homme non par la volonté ou complaisance ou par assomption d'une "personne" (proswpon). Les natures différentes se sont rencontrées en une unité véritable et des deux, il s'est fait une seul Christ, un seul Fils. Le concile officialise le titre de Théotokos que la tradition réservait à Marie et que Nestorius voulait remplacer par celui de Christotokos.

A Chalcédoine en 451, alors que la dispute autour du mystère de l'incarnation ne faiblit pas, dressant Grecs contre orientaux, le nouveau concile confirme l'orientation prise à Nicée et à Constantinople. L'empereur Marcien en est l'organisateur et le pape Léon, l'inspirateur. Celui-ci écrit en 449, à l'encontre de ceux qui, tel Eutychès, à la tête des monophysites, vont au nom de l'unicité de la nature divine jusqu'à prétendre que Dieu a souffert à travers le Christ, "l'anéantissement par lequel l'invisible s'est fait visible n'est en rien une éclipse de la puissance du Seigneur. Invisible en ce qui lui est propre, il a voulu être compris ; subsistant avant les temps, il a commencé d'être dans le temps ; Seigneur de l'univers, il a pris la forme d'esclave, voilant d'ombre l'immensité de sa majesté. Dieu impassible, il n'a pas dédaigné d'être homme passible, et immortel, de se soumettre aux lois de la mort"... pour notre salut.

La mort pourtant ne modifie en rien son état. Ressuscité, Jésus Christ reste un homme concret, palpable, charnel comme en témoigne Saint Luc. Aux apôtres qui le confondent avec un esprit, un revenant, le crucifié déclare "voyez mes mains et mes pieds, c'est moi. Touchez et voyez : un esprit n'a pas une chair et des os comme vous voyez que j'en ai" et disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds. Ils lui présentèrent du poisson rôti et un rayon de miel. Il en prit et il mangea devant eux."

Les trois premiers Symboles :

 

NICEE
325

CONSTANTINOPLE
381

Nous croyons en un seul Dieu,
Père tout-puissant,
créateur
de toutes choses,
visibles et invisibles ;
et en un seul Seigneur Jésus Christ,
le Fils de Dieu, unique
engendré du Père,
c'est-à-dire de l'essence du Père,
Dieu de Dieu,

Nous croyons en un seul Dieu,
Père tout-puissant,
créateur du ciel et de la terre,
de toutes choses,
visibles et invisibles ;
et en un seul Seigneur Jésus Christ,
le Fils unique de Dieu,
engendré du Père avant tous les siècles,

lumière de lumière,
vrai Dieu de vrai Dieu,
engendré,
non point fait,
consubstantiel au Père,
par qui tout a été fait,
ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre,

lumière de lumière,
vrai Dieu de vrai Dieu,
engendré,
non point fait,
consubstantiel au Père,
par qui tout a été fait, ,

qui pour nous les hommes et pour notre salut,
est descendu
et s'est incarné
et s'est fait homme,
a souffert

qui pour nous les hommes et pour notre salut,
est descendu des cieux
et s'est incarné de l' Esprit Saint et de la Vierge Marie
et s'est fait homme,


et est ressuscité le troisième jour,

a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate
et a été enseveli
,
et est ressuscité le troisième jour
selon les Écritures
,

est monté aux cieux

est monté aux cieux
et est assis à la droite du Père
,

et viendra juger les vivants et les morts.

et viendra dans la gloire juger les vivants et les morts ;
son royaume n'aura pas de fin.

Et au Saint-Esprit

Et au Saint-Esprit,
Seigneur et vivifiant,
qui procède du Père,
qui est adoré et glorifié avec le Père et le Fils,
qui a parlé par les prophètes.
Et en une seule Église sainte,
catholique et apostolique.
Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés.
Nous attendons la résurrection des morts et la vie du siècle à venir.
Amen
.


CHALCEDOINE

451

Nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ, le même parfait en divinité, parfait en humanité, le même, Dieu vraiment et homme vraiment, fait d'une âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au Père en sa divinité, consubstantiel à nous en son humanité, semblable à nous en tout hors le péché, engendré du Père avant les siècles, en sa divinité mais aux derniers jours, pour nous et notre salut, engendré de Marie, la Vierge, la Théotokos, en son humanité, en deux natures, sans confusion ni changement, sans division ni séparation.

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